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savoir si, par l’exercice, il ne fait que développer ses aptitudes naturelles, ou s’il acquiert ces aptitudes uniquement par le concours d’un autre sens ; en d’autres termes, s’il ne se suffirait pas à lui-même pour acquérir la notion de distance, ou s’il ne doit cette notion qu’à la coopération du toucher. Or l’exemple des petits poulets prouve que l’œil se suffit à lui-même pour avoir cette notion. Que l’œil de l’homme ait besoin d’un peu plus d’exercice, cela est possible. Mais on doit supposer, par analogie, que, même en s’instruisant, il ne tire encore des notions sur ce point que de lui-même.

C’est ici le lieu d’examiner de près les expériences physiologiques qui ont donné lieu à l’opinion reçue, et avant tout la célèbre expérience de Cheselden, qui a fait tant de bruit au xviiie siècle et qui est encore aujourd’hui la base fondamentale de la théorie en question[1].

Quand on va jusqu’à la source elle-même, c’est-à-dire jusqu’au mémoire de Cheselden, qui n’est pas difficile à trouver et à lire, puisqu’il ne se compose que de quatre pages dans les Transactions philosophiques[2], et qui a d’ailleurs été traduit et inséré en entier dans l’Optique physiologique de Helmholtz[3] ; lorsqu’on se reporte, dis-je, au témoignage primitif de Cheselden lui-même, on est étonné de voir sur quelle courte et vague déposition on a édifié une théorie si affirmative. Il ne s’agit en effet que d’une seule phrase, dont l’auteur semble avoir à peine aperçu l’importance, et à laquelle il ne donne aucun développement. « Dans les premiers temps, dit-il, loin d’être en état d’apprécier les distances, il s’imaginait que tous les objets qu’il voyait touchaient ses yeux, de même que les objets sentis sont au contact de la peau. » On voit que tout repose sur ces

  1. M. Ernest Naville, dans un très-intéressant article de la Revue scientifique (31 mars 1877), sur lequel nous reviendrons plus loin, nous donne l’énumération des opérations de ce genre qui ont été publiées : 1728, Cheselden (Philosophical transactions, 1728, p. 447) ; — 1801, Ware (id., p. 382) ; — 1806, Home (id., 1807, p. 83) ; le même (id., id.) ; — 182(3, Wardrop (id., 1826, p. 529) ; — 1840, Frank (id., 1841, p. 59) ; — Trinchinetti (Archives des sciences physiques et naturelles de la Bibliothèque universelle, 1847, p. 336 ; — 1852, Recordon (Bulletin de la Société médicale de la Suisse romande (1876) ; — 1874, Hirschberg (Archives de Grœfe, xxi, 1) ; — 1874, Hippel (Archives de Grœfe, xxi, 2) ; — 1875, Dufour (Bulletin de la Société médicale de la Suisse romande (1876) ; — 1876, Hirschberg (Archives de Grœfe, xxv, 4). Ajoutez aux cas signalés par M. Naville, une autre observation de Wardrop, sur un enfant aveugle et sourd à la fois, rapportée par Dugald-Stewart, avec grands détails et pièces à l’appui (Philosophie de l’esprit humain, tome iii, Appendice). On verra encore, dans le cours de cet article, la mention de quelques opérations de ce genre faites en France au xviiie siècle, dont nous n’avons pas pu retrouver la date ni l’historique original.
  2. Année 1728, tome xxxvii, p. 447-450.
  3. Trad. franç., p. 749.