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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

nismus) des philologues n’a rien de commun avec la vraie culture humaine. Il est même bien inférieur à l’art grec, dont les œuvres heureusement parlent directement à ceux qui les contemplent, et ne gagnent qu’à être isolées de leurs plats interprètes. L’humanisme des érudits pouvait avoir son prix pour réveiller l’âme humaine, engourdie par la longue et glaciale nuit du moyen âge. On n’y trouvera pas l’engrais fécond de l’avenir. « La culture classique des humanités répond si peu à son nom, qu’on doit la considérer hardiment comme contraire à la véritable humanité, comme uniquement propre à corrompre la jeunesse et à flétrir en elle la fraîcheur de la sensibilité et du jugement. » Il fallait la sénilité byzantine et la grossièreté du moyen âge pour voir dans les types de l’art grec les modèles définitifs de la perfection humaine. Débarrassé des entraves de la société et de la nature, l’homme de l’avenir produira, dans tous les sens, des œuvres plus vivantes et plus utiles que toutes ces formes surannées du passé. — La poésie a trop souvent entretenu la corruption du cœur et les erreurs de la pensée. « En les galvanisant en quelque sorte par ses stimulants de convention, elle donnait l’apparence mensongère d’une immortalité idéale aux idées condamnées par l’expérience et la vie et prétendait défendre les fictions les plus absurdes au nom de la liberté de l’art. » Toute véritable poésie a sa source dans le sentiment élevé et harmonieux de la vie : elle doit se proposer également pour fin de faire naître, de développer ce sentiment. — Le langage, plus encore que la poésie, permet de juger l’état de la conscience d’un peuple. Les locutions bizarres, comme le pluriel substitué au singulier dans les appellations, la tyrannie des règles plus hostiles à la logique que le bon sens populaire, les images et les expressions vicieuses, la préférence donnée au langage des académies sur celui du peuple : tous ces symptômes trahissent visiblement l’état maladif de l’intelligence nationale. Il n’est pas moins urgent de réformer les habitudes matérielles, je veux parler de l’abus du tabac, de l’ivresse, du culte de la table, etc.

V. L’état social et l’histoire. — « La doctrine, exacte et digne du nom de science, des principes de l’association humaine, en est encore aux premiers éléments. Elle ne doit pas se contenter d’observer les faits, mais surtout déduire et construire à l’aide des principes. La prétendue science politique de nos jours se borne à constater et à légitimer des faits. » Rousseau est le seul précurseur important que nous trouvions sur notre route. Mais il a trop légèrement sacrifié la volonté de l’individu à celle de la majorité. — Il n’y a de garantie absolue du droit que dans l’égalité de puissance des individus. Faire appel à un pouvoir étranger, comme Machiavel et Hobbes, c’est recourir à une protection illusoire ; on ne fonde ainsi qu’un droit, celui des esclaves ; on n’assure d’autre paix que celle d’un cimetière des libertés. L’histoire n’a connu jusqu’ici que les formes diverses de l’oppression. Depuis la démocratie entée sur l’esclavage jusqu’à l’oligarchie et à la monarchie autoritaire, le prétendu droit de l’État ou du peuple n’a été que la