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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

que se montre insuffisante. Il n’est pas question ici du duel et des ressentiments de convention qui trop souvent l’inspirent, mais des situations où la vengeance privée cherche par tous les moyens possibles à se donner la satisfaction que la loi lui refuse. Il vaut mieux assurément que l’individu fasse à la cause publique des lois le sacrifice de son ressentiment. Pourtant cela est impossible devant certains outrages. — On s’élève, par la grandeur d’âme, au-dessus du ressentiment. Une noble compassion pour les destinées humaines, et la résignation à ce qu’entraîne la fatalité des choses et des organisations conduisent à renoncer au châtiment et même au repentir du coupable, et disposent à se contenter de faire servir la punition à son amendement. Il n’y a toutefois rien de commun entre ce noble sentiment et l’amour, hypocrite et contre nature, du chrétien pour son propre ennemi. Dans une société bien organisée judiciairement, la loi peut, s’inspirant de ces sentiments supérieurs, traiter les coupables comme des malades : mais la société ne doit jamais faire cela que du consentement de l’individu lésé. — L’oppression de l’individu par l’État a favorisé les doctrines qui soutiennent la souveraineté absolue du pouvoir judiciaire et aboutissent à la négation de toute libre individualité. Les socialistes eux-mêmes ont besoin d’apprendre que les droits de l’homme ne dérivent pas de l’État, mais que les formes politiques, au contraire, tirent leur légitimité des droits primordiaux de l’homme. L’individu est, d’une manière absolue, le principe et la fin du droit. Les institutions légales n’ont de vitalité qu’autant que la libre volonté des individus s’incorpore en elles. Le mariage contraint (Zwangsehe) est une violation de cette liberté, et cependant il a dominé jusqu’ici. — L’institution légale delà propriété n’est pas moins contraire à la justice ; mais la réforme en est plus malaisée. « Le droit de propriété, tel que l’histoire l’a fait, n’est pas la cause, mais l’effet de l’asservissement total ou partiel des individus et de toutes les subordinations imposées par le glaive des vainqueurs. La ruse des prêtres n’a pas manqué ensuite de les sanctionner, en présentant comme des ordres d’en haut les actions brutales de la force. » Le droit d’entière et exclusive domination sur une chose ne saurait se démontrer sérieusement. C’est une injustice criante que d’exclure autrui des ressources que la nature met à la disposition de tous, et pourtant c’est là le principe même de la propriété. Personne n’a le droit de s’attribuer le monopole exclusif et éternel d’une portion quelconque de la nature. Il faudra une législation spéciale et nouvelle pour séparer, dans le produit du travail humain, la part de l’homme et celle de la nature, afin de faire retourner la seconde dans l’usage commun. Ce sera l’œuvre de l’état véritablement social de l’avenir. — Les mœurs, la justice ou le droit, dont nous nous sommes occupés jusqu’ici, n’expriment que les conditions nécessaires à l’existence de l’humanité. Les institutions qui en ont pour objet le perfectionnement, paraîtront, à juste titre, encore plus importantes. La stricte justice commande de limiter son activité ; les fins supérieures de l’humanité exigent, au contraire, que l’homme