Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
650
revue philosophique

qu’on dit exister chez les Égyptiens ; une troisième, plus curieuse encore, est : « Comment les mosquitos vous ont-ils traité ? » Selon Humboldt, c’est la salutation du matin sur l’Orénoque.

Il nous reste à observer ces modifications du langage, grammaticales et autres, qui impliquent l’exaltation de la personne à laquelle on parle ou l’abaissement de la personne qui parle. Elles ont certaines analogies avec d’autres éléments cérémoniels. Nous avons vu que, dans les pays où la sujétion est excessive et où les souverains sont ordinairement invisibles, il est défendu sous peine de mort de porter les yeux sur eux quand ils sont présents. L’idée que c’est prendre une liberté impardonnable que de regarder un personnage élevé a donné naissance dans quelques contrées à l’usage de tourner le dos à un supérieur. De même, la coutume de baiser le sol devant une personne vénérée ou de baiser quelque objet lui appartenant implique que cette personne est dans une position tellement supérieure, qu’on ne peut pas prendre la liberté de baiser même son pied ou son vêtement. C’est par suite d’une conception semblable que les formes laudatives du langage sont en partie marquées de ce trait caractéristique qu’elles évitent des rapports directs avec la personne à laquelle on s’adresse.

Des modifications spéciales du langage ayant comme résultat communie maintien d’une certaine distance entre supérieurs et inférieurs sont très-répandues et apparaissent dans quelques phases sociales relativement primitives. À propos de la classe supérieure des Abipones, nous lisons que « les noms des hommes appartenant à cette classe finissent en in ; ceux des femmes qui partagent également ces honneurs, en en. Il faut ajouter ces syllabes même aux substantifs et aux verbes quand on leur parle. » D’un autre côté, la langue de Samoa contient « un vocabulaire distinct et permanent de mots que la politesse exige d’employer si l’on s’adresse aux supérieurs ou dans les occasions cérémonielles ». Chez les Javanais, « aucun homme, à quelque rang qu’il appartienne, ne peut dans aucune occasion s’adresser à son supérieur dans le langage habituel et commun du pays. » À propos de l’ancienne langue des Mexicains, Gallantin dit « qu’il y a une forme spéciale, appelée la révérencielle, qui s’étend à tout le langage et ne se rencontre dans aucun autre… c’est, à ce qu’on croit, la seule langue dans laquelle chaque mot prononcé par l’inférieur lui rappelle sa condition sociale. »

Les formes indirectes les plus générales que l’étiquette ait introduites pour s’adresser à une personne semblent avoir leur origine dans la superstition primitive concernant les noms propres. S’imaginant que le nom d’un homme fait partie de son individualité et que