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Dans la suite, au lieu de la déclaration que l’on vit seulement par la permission du supérieur réel ou prétendu auquel on s’adresse, nous trouvons que celui qui parle déclare être personnellement sa propriété ou tenir ses biens à sa disposition, ou bien il fait les deux déclarations à la fois. L’Afrique, la Polynésie et l’Europe nous en fournissent des exemples. « Quand un étranger entre dans la maison d’un Serracolet (nègre de l’intérieur), celui-ci sort et dit : « Homme blanc, ma maison, ma femme, mes enfants t’appartiennent. » Dans les îles Sandwich un chef auquel on demande à qui appartiennent une maison ou un canot qui sont sa propriété répond : « Ils sont à vous et à moi. » Une reine de France visitant un monastère au xve siècle, un abbé se mit à genoux devant elle et lui adressa ce compliment : « Nous vous remettons et nous vous offrons l’abbaye avec tout ce qu’elle contient, nos corps et nos biens. » Et à notre époque, en Espagne, où la politesse exige que tout ce qu’un visiteur admire lui soit offert en cadeau, « il faudrait, pour écrire correctement, dater une lettre… de celle-ci votre maison, quelque part qu’elle se trouve ; il ne faudrait pas dire : de celle-ci ma maison, puisque votre intention est de la mettre à la disposition de votre correspondant. »

Mais ces expressions employées en s’adressant à un supérieur réel ou fictif, par lesquelles on affirme indirectement qu’on lui appartient corps et biens, sont d’une importance secondaire en comparaison des professions directes d’esclavage et de servitude ; originaires des temps barbares, ces dernières ont persisté à travers les temps civilisés jusqu’à nos jours.

Les narrations de la Bible nous ont familiarisés avec le mot « serviteur », qu’un sujet ou un inférieur s’appliquait à lui-même quand il parlait à un chef ou à un supérieur. À notre époque de liberté, les associations d’idées établies par l’habitude journalière font que nous avons oublié que le mot « serviteur », tel qu’il est employé dans les traductions des annales anciennes, signifie « esclave, » et qu’il implique la condition dans laquelle est tombé un prisonnier de guerre. Quand nous trouvons dans la Bible, comme cela arrive fréquemment, les termes « ton serviteur » ou « tes serviteurs » adressés à un roi, il faut nous rappeler qu’ils expriment le même état de sujétion décrit plus amplement par les phrases citées dans le dernier chapitre. Évidemment, ce terme de soumission très-humble était employé non-seulement par les serviteurs, mais par les peuples conquis et par les sujets en général. Nous le voyons par l’exemple de David, qui, s’adressant à Saül, dont il n’était pas connu, appelle lui-même et son père les serviteurs de Saül. L’expression a continué