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ÉTUDES DE SOCIOLOGIE




LE GOUVERNEMENT CÉRÉMONIEL[1]


VI — MANIÈRES DE S’ADRESSER LA PAROLE.


Ce que la salutation exprime par des actes, les formules employées en s’adressant à quelqu’un le disent en paroles. Il doit en être ainsi si les deux manifestations ont une même origine, et cette communauté d’origine est facile à démontrer. Nous avons des exemples où elles sont employées indifféremment l’une ou l’autre comme étant équivalentes. En parlant des Polonais et des Silésiens slaves, le capitaine Spencer observe : « Le trait le plus distinctif qui les caractérise les uns et les autres est peut-être leur méthode humble de reconnaître un acte de bonté ; pour remercier, ils se servent de l’expression servile : « Upadam da nog » (Je tombe à vos pieds) ; et ce n’est point là une figure de rhétorique, car ils se jettent littéralement à terre et vous embrassent les pieds si vous leur donnez seulement quelques sous. » Ici donc la prosternation du vaincu devant le vainqueur est effective ou simulée par des paroles ; et la représentation orale, quand on y a recours, remplace l’acte réel. D’autres cas nous montrent la même association de l’acte et de la parole, par exemple quand un courtisan turc, habitué aux salutations humbles, s’adresse en ces termes au sultan : « Centre de l’univers ! la tête de votre esclave est à vos pieds ; » ou quand un Siamois, dont les prosternations serviles sont quotidiennes, dit à son supérieur : « Seigneur bienfaiteur aux pieds duquel je suis prosterné ! » à un prince : « Moi, la plante de votre pied ; » au roi : « Moi, un grain de poussière sous vos pieds sacrés ! » L’expression est encore plus caractéristique quand un Siamois, au service du roi, dit : « Haut et puissant seigneur, moi ton esclave je demande à prendre tes ordres royaux et à les placer sur mon front, au sommet de ma tête. » Ici, l’attitude de sujétion absolue, consistant à mettre la tête aux pieds du vainqueur, est indiquée en paroles.

Des pays plus rapprochés fournissent aussi des cas où l’on rem-

  1. Voir les numéros de janvier, février, mars et mai 1878.