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espinas. — études de psychologie comparée

en quantité croissante dans le sol ingrat qu’elles traversent. On a fait côtoyer à des racines des couches de terre excellente sans qu’elles s’en approchent d’une ligne. Darwin a constaté que les substances les plus nutritives n’exercent aucune action à distance sur les tentacules de la Drosera. En un mot, si la plante est vivante, rien ne nous autorise à voir dans son organisation autre chose qu’un mécanisme excessivement complexe, qu’un ensemble de phénomènes physico-chimiques, et des actions directes de même nature mettent seules en branle ces appareils délicats. M. Vignoli se serait trompé en voyant des buts là où il n’y a que des résultats.

Dès qu’on admet la divergence que nous avons signalée plus haut entre les deux règnes, on trouve que les principes de M. Vignoli s’appliquent au contraire très-légitimement à tout le règne animal. L’animal, pourvu d’un système nerveux et capable de représentation, peut se proposer des fins, au moins prochaines, et c’est en lui l’intelligence et la volonté qui rendent compte en effet de la parfaite adaptation de ses actes aux exigences du milieu. L’instinct n’est pour notre auteur que l’ensemble des habitudes héréditaires ; chacune de ces habitudes a été contractée grâce à l’initiative intelligente de certains individus ; seulement chaque mode d’activité a cessé d’être conscient en devenant organique dans la transmission héréditaire. L’analyse du mode de penser de l’animal est des plus heureuses (p. 104-111) ; on remarquera surtout le chapitre où les principes que l’intelligence humaine conçoit sous forme abstraite sont signalés comme faisant partie intégrante des raisonnements implicites que forme l’animal en passant du particulier au particulier (chap VII) ; on sentira à la lecture de toute cette théorie de l’instinct, appuyée de faits nombreux et décisifs, combien sont désormais impuissants les efforts tentés pour soutenir l’immutabilité de l’activité animale et son caractère exclusivement spécifique. De toutes parts, les esprits les moins prévenus en faveur des animaux s’accordent à reconnaître qu’ils agissent pour des motifs individuels et qui varient avec les circonstances. Ce sera là un des résultats les plus importants de la psychologie comparée dans cette seconde moitié du siècle, et le temps est prochain où il ne sera plus contesté par personne.

L’éloge se passe plus aisément de justifications que la critique ; aussi, après cette courte mention de la partie de l’ouvrage qui est la meilleure, selon nous, nous voyons-nous obligés d’en discuter un peu plus longuement la fin, comme nous l’avons fait du commencement. Il s’agit des différences entre l’animal et l’homme.

M. Vignoli est de ceux qui pensent que plus on accorde à l’animal, plus on élève l’homme. Il n’en est pas moins amené à discuter après