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quelquefois un chef, comme dans le cas déjà cité du roi de Bogota et dans le cas rapporté par Williams dans le récit de son séjour aux îles Fidji : un chef inférieur et sa suite, dit-il, « se présentant devant le roi, exécutèrent une danse, qu’ils finirent en offrant leurs bâtons et leurs vêtements au roi Somo-somo. »

Des autres signes qui simulent une émotion agréable et qui font ordinairement partie de la salutation, le baiser est le plus remarquable. Celui-ci prendra naturellement une forme en rapport avec l’humilité de la prosternation ou d’une attitude analogue. Nous avons vu par quelques exemples précédents qu’on baisait la terre dans les pays où le souverain ne peut pas ou ne veut pas être approché d’assez près pour qu’on baise ses pieds ou ses vêtements. Cet acte, dans l’ancien Orient, exprimait la soumission du vaincu au vainqueur, et alla, dit-on, jusqu’à baiser les empreintes laissées par le cheval de ce dernier. L’Abyssinie, où le despotisme est excessif et les salutations serviles, nous offre une modification. Dans le Shoa, on baise, en signe de respect et de reconnaissance, l’objet inanimé le plus proche qui appartient à un supérieur ou à un bienfaiteur. De cette coutume, nous passons à celle de lécher et de baiser les pieds. Drury nous rapporte que lécher le genou est un signe de respect parmi les Malagasys, mais n’indique pas un abaissement aussi profond que de lécher les pieds. En décrivant un chef malagasy revenant de la guerre, il dit : « Il s’était à peine assis devant sa porte que sa femme vint en rampant sur les mains et les genoux jusqu’à ce qu’elle fût venue près de lui, et ensuite lécha ses pieds ; quand elle eut fini, sa mère en fit autant, et toutes les femmes de la ville saluèrent leurs maris de la même manière. » Les esclaves agirent de même à l’égard de leurs maîtres. Pareillement, dans l’ancien Pérou, où la subordination était illimitée, « quand les chefs venaient auprès d’Atahuallpa, ils faisaient de grandes révérences, lui baisant les pieds et les mains. » Nous avons des preuves manifestes que cet hommage extrême était et est actuellement habituel en Orient. Dans les annales assyriennes, Sennacherib mentionne que Menahem de Samarie arriva pour lui apporter des présents et lui baiser les pieds. Le baisement des pieds était une partie de l’hommage rendu au Christ par la femme avec la boîte d’onguents ; si Marie Madeleine « le saisit par les pieds », ce ne fut pas là un acte exceptionnel, car nous voyons que la femme sunamite saisit aussi les pieds d’Elisée. De nos jours encore, les Arabes des classes inférieures baisent les pieds, les genoux ou les vêtements de leurs supérieurs. Baiser les pieds du chah ou du sultan est maintenant un hommage rendu en Perse et en Turquie, et sir