Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
marion. — john locke d’après des documents nouveaux

Ayant écrit deux admirables lettres d’adieu, destinées à être remises après sa mort, l’une à Collins, l’autre à Peter King, il se recueillit pour mourir. Lady Masham lui lisait la Bible ; il s’entretenait avec elle de pensées pieuses, se recommandait à ses prières, lui parlait de l’autre vie. « J’ai à peu près fini ma tâche, lui disait-il, et j’en remercie Dieu. Tout au plus ai-je deux ou trois jours à vivre encore : peut-être vais-je mourir cette nuit… Je meurs dans des sentiments de parfaite charité pour tous les hommes, et en sincère communion avec tous les chrétiens, de quelque nom qu’ils s’appellent. » Il eut encore quelques intervalles de répit, pendant lesquels Coste (précepteur des enfants de la maison et traducteur de l’Essai) lui lisait Horace. Mais quoique en possession de toutes ses facultés, ses forces décroissaient toujours. Le 28 octobre 1704, à l’âge de 72 ans, il s’éteignit dans son fauteuil, lady Masham lui faisant la lecture. « Sa mort, dit-elle, fut comme sa vie, vraiment pieuse, mais naturelle, douce et simple. » Par son testament, il partageait son avoir à ceux qu’il avait aimés, n’oubliant personne et réglant tout dans le menu détail. Un article additionnel demandait qu’on lui fît les funérailles les plus modestes, en consacrant à acheter des vêtements aux plus pauvres ouvriers d’Oates l’argent que des funérailles plus pompeuses auraient coûté. On l’enterra près de l’église de la paroisse, au village de High Laver, où se lit encore sur sa tombe cette épitaphe, qu’il avait rédigée lui-même : Siste Viator. — Hic juxta situs est Johannes Locke. Si qualis fuerit rogas, mediocritate sua contentum se vixisse respondet. Litteris innutritus, eousque tantum profecit, ut veritati unice litaret. Hoc ex scriptis illius disce ; quæ quod de eo reliquum est majori fide tïbi exhibebunt, quam epitaphii suspecta elogia. Virtutes si quas habuit, minores sane quam quas sibi laudi, tïbi in exemplum proponeret. Vitia una sepeliantur. Morum exemplum si quœras in Evangelio habes : vitiorum utinam nusquam : mortalitatis certe (quod prosit) hic et ubique. — Natum Anno Dom. 1632, Aug. 29°, Mortuum Anno Dom. 1704, oct. 28°, Memorat hæc tabula brevi et ipsa interitura.

De toute cette vie, accidentée, multiple, la physionomie de l’homme se dégage assez nettement, à la fois mobile et calme, douce et vive. Point de morgue, rien de théâtral, pas la moindre affectation ni singularité : en toutes choses, une simplicité parfaite. En lui, tout avait ce caractère : ses traits purs, sa figure souffrante, mais ouverte et vraie, ses manières, son langage, toute sa personne, toutes ses habitudes[1].

  1. « Sa mise était très-soignée, mais toujours simple ; son régime, celui de tout le monde, sauf qu’il ne buvait que de l’eau. » Lady Masham. — Il aimait tous les exercices du corps, se plaisait à jardiner, à monter à cheval.