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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

vrai qu’on ne les lui payait pas. Le comte, sous prétexte de faire fructifier la modeste fortune du philosophe, avait soin d’ajouter délicatement à son maigre revenu. Peut-être est-ce en vue de l’accroître que Locke engagea quelque argent dans une entreprise aux Bahamas, mais le succès fut au moins douteux. Tout ce qu’il retira des Indes occidentales (où il songea un moment à faire un voyage), ce furent des informations scientifiques sur les productions du sol, des échantillons de minerais, des poisons, etc., qui lui fournirent matière à divers petits Mémoires pour la Société royale ou les Philosophical Transactions. En même temps, il se faisait adresser de Suède, par un secrétaire d’ambassade, son obligé, des renseignements sur les mœurs des Lapons et les sorcières du pays ; il méditait sur l’économie politique et commençait à écrire ses « traités de l’argent et de l’intérêt » qui ne paraîtront que vingt ans plus tard ; enfin il traduisait pour lady Shaftesbury une partie des Essais de Morale de Nicole, qu’il avait rapportés de son voyage en France. Entre ces essais il en avait choisi trois ; et ce choix seul est une indication sur son état d’esprit à cette époque. Qu’il fût encore alors satisfait des preuves cartésiennes de l’existence de Dieu, on peut le croire d’après le soin qu’il prit de traduire sans critique l’exposé fidèle qu’en faisait Nicole. Mais, d’autre part, son admiration pour les deux essais sur la Faiblesse de l’homme et sur les Moyens de conserver la paix parmi les hommes nous montre sa prédilection déjà marquée pour les questions morales et sociales. Dans les lettres qu’il écrit vers le même temps à ses amis du clergé éclate aussi dès lors sa tendance à ramener la religion à la morale, à juger les hommes sur leur conduite plutôt que sur leur profession de foi.

Cependant sa santé s’altérait de plus en plus : après une crise redoutable, durant laquelle Sydenham le condamna à un régime sévère et à un repos absolu, il fut décidé qu’il irait passer un hiver au moins dans le midi de la France. Montpellier était alors le séjour ordonné aux malades, comme aujourd’hui Nice et Pau ; c’était aussi une célèbre école de médecine. Locke partit avec plaisir pour s’y rendre, en novembre 1675, et ne revint qu’en avril 1679. Nous ne pouvons le suivre dans ce voyage, ni indiquer ici tout ce qu’il y aurait de curieux à relever dans son journal, pour qui voudrait peindre, d’après un bon observateur, l’état social et économique, les institutions, les coutumes et les misères de nos provinces au plus beau temps du règne de Louis XIV. De Calais à Paris, de Paris à Montpellier par Lyon, Orange et Nimes, Locke note partout ce qui est nouveau pour lui, ce qui peut instruire ou intéresser ses amis, à qui il adresse de charmantes lettres. Avant de s’installer, il visite