Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
marion. — john locke d’après des documents nouveaux

c’est-à-dire d’être attaché définitivement à l’université, puisque ce titre une fois obtenu l’était ordinairement pour la vie. Un grand changement s’était fait en lui depuis sa sortie de Westminster. Peu à peu, il était passé de la rigidité puritaine à un parfait esprit de tolérance, principalement sous l’influence d’Owen. Répugnant par nature à toute ardeur sectaire, éminemment sociable, il avait des amis parmi les modérés et les délicats de toutes les opinions politiques ou religieuses : il était « latitudinaire ».

Pourtant son père l’avait toujours destiné à être clergyman, et lui-même, si tiède que fût son zèle, n’avait point de répugnance à entrer dans les ordres. C’était avant tout à cette fin que tendaient les études d’Oxford ; et, sur soixante senior studentships, cinquante-cinq étaient réservées à l’élite des jeunes hommes d’Église ; cinq seulement étaient laissées aux études purement laïques, savoir, deux à la médecine, deux au droit et une à la philosophie morale. Ces dernières places étaient vivement disputées, mais Locke ne songea pas d’abord à en obtenir une. Il se laissa nommer lecteur ou répétiteur de grec, puis de rhétorique, et un peu plus tard « censeur de philosophie morale », trois fonctions que l’on ne confiait qu’aux futurs ecclésiastiques. Nous ne savons rien de la manière dont il s’en acquitta ; les rares documents que nous avons sur cette époque de sa vie sont un certificat de bonnes vie et mœurs délivré par le doyen de Christ Church, des comptes curieux entre lui et les étudiants dont il était à son tour le « tuteur », enfin deux très-courtes notes philosophiques écrites de sa main sur un carnet, ou memorandum de son père conservé au British Museum. Nous reviendrons sur ces notes, qui seules nous apprennent quelque chose de l’état de sa pensée avant qu’il lût Descartes.

Il lut Descartes à l’âge de vingt-sept ans, et ce fut pour lui, il aimait à le dire, une véritable révélation[1]. Il est impossible qu’il n’eût pas lu Bacon auparavant ; mais, ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait pas trouvé une excitation à méditer comparable à celle qu’il reçut de cette philosophie hardie et profonde, franche et mondaine d’allures, en rupture ouverte avec la scolastique, moitié conforme et moitié contraire à ses propres tendances, bien faite enfin de toutes manières pour éveiller sa curiosité. Dès lors, il lut avidement surtout les cartésiens français et leur adversaire, Gassendi. Sans

  1. Locke ne savait pas encore le français, mais les ouvrages de Descartes avaient été ou écrits ou aussitôt traduits en latin. Ils n’étaient pas d’ailleurs en honneur à Oxford, où le cartésianisme ne trouvera longtemps que des adversaires, alors même que, apporté par le Franciscain Antoine Legrand, il aura gagné assez de terrain pour être dominant à Cambridge. V. Fr. Bouillier, Hist.de la phil. cartes., t. II, ch. xxvi.