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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

faire au spectacle de la tourmente civile. Nous savons pourtant qu’il se félicita toute sa vie de l’éducation qu’il avait reçue. Sa qualité maîtresse comme homme sera d’être un gentleman accompli : agréable et sûr, modéré en tout, droit, admirablement pondéré. Ces dispositions ne s’acquièrent point passé un certain âge : on les a de naissance, ou elles se forment dans l’enfance. C’est sans doute à sa mère, « femme pieuse et tendre, » que Locke dut sa délicatesse de cœur, et à son père, « homme intelligent, énergique et sage, » qu’il dut ses habitudes de discipline. Comme Stuart Mill, il fut d’abord élevé assez rudement, « tenu à distance » par un père qui le forma avant tout à l’obéissance et au respect. La familiarité ne vint que plus tard et petit à petit, à mesure que l’enfant devenait un homme. Alors, en revanche, ce père le traita en « parfait ami », jusqu’à lui demander solennellement pardon pour l’avoir une fois frappé tout petit, dans un accès de colère.

En 1646, l’influence d’un ami de sa famille, membre du Parlement pour son district, le fit admettre à la vieille et célèbre école de Westminster, où, l’année suivante, il obtint après examen le titre d’écolier du roi, King’s Scholar, lui donnant droit non-seulement à la gratuité des cours pour les six ans qu’il devait passer là, mais encore à une allocation annuelle de treize shillings quatre deniers pour l’habillement et de soixante shillings dix deniers pour la table. L’enseignement qu’il reçut dans cette école, comme le poète Dryden, son condisciple, était celui-là même qu’il devait plus tard critiquer si amèrement. Beaucoup de grammaire latine et grecque, de perpétuels exercices, de mémoire, des thèmes et des versions, des vers, à la fin un peu d’hébreu et d’arabe, mais point de connaissances positives, et, sauf un peu de géographie le dimanche, à peu près rien « de ce qu’il faut savoir dans la vie ». Heureusement, il semble n’avoir fait que plus tard ces réflexions ; il commença par faire en conscience sa tâche d’écolier. Pendant ce temps, tout près de lui, de graves événements historiques s’accomplissaient, bien propres à le mûrir : il avait dix-sept ans, lorsque, le 30 janvier 1649, dans la cour du palais de Whitehall, tomba la tête de Charles Ier.

En quittant Westminster, six élèves de choix étaient envoyés dans les Universités, trois à Oxford, trois à Cambridge ; Locke fut nommé en 1652 étudiant (junior student) à Christ Church Collège, le plus riche et le plus florissant des collèges d’Oxford. Le prédicateur presbytérien Owen venait d’en prendre la direction, et, chef en même temps de l’Université tout entière, s’appliquait à y rétablir la discipline, les mœurs et les études, qui avaient singulièrement souffert de la guerre civile. L’ordre commençait à renaître dans cette popu-