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est bonne de reparler de lui. Il m’a semblé qu’il y avait lieu de réviser à ce propos, sinon pour le réformer, au moins pour le compléter et le motiver, le jugement un peu trop sommaire qu’on porte communément sur son compte. Je vais d’abord retracer à grands traits son éducation, sa vie, son caractère, les influences qu’il a subies, les événements auxquels il a été mêlé, l’ordre de ses ouvrages, les circonstances au milieu desquelles il a écrit. Après quoi, considérant le contenu de ses œuvres, exposant tour à tour sa philosophie pratique et sa philosophie spéculative, j’essayerai de démêler ce qui de part et d’autre lui appartient vraiment en propre. Par cela même, j’aurai indiqué ses rapports avec les penseurs précédents ou contemporains ; et l’on pourra juger de son action sur les générations suivantes jusqu’à nos jours.


Locke était d’une ancienne famille de marchands, très-florissante sous Henri VIII, dont un membre avait été shériff de Londres, dès le milieu du xve siècle, et un autre était encore maire de Bristol au xviie. Mais il était d’une branche un peu déchue de cette famille. Son grand-père, manufacturier ou marchand drapier à Pensford, village du Sommersetshire, à environ six milles au sud de Bristol, ne semble guère s’être élevé au-dessus de l’aisance ; et son père, country attorney et clerc de la justice de paix de son district, occupait une situation honorable plutôt que brillante. Sa mère, Agnès Keene, dont nous savons d’ailleurs peu de chose et qu’il paraît avoir peu connue, appartenait à une famille plus modeste encore. Elle lui donna le jour après deux ans de mariage, le 29 août 1632, non à Pensford, mais dans son village natal de Wrington, à dix ou onze milles plus à l’ouest, où elle se trouvait chez un de ses frères. On montre encore la maison, couverte en chaume, près de l’église. Quand Locke naquit, sa mère avait trente-cinq ans, son père vingt-cinq. Il n’eut qu’un frère (1637).

Son enfance se passa à Pensford (où un pré porte encore son nom). Elle dut être calme jusqu’à dix ans, mais fort troublée du jour où, la guerre civile éclatant dans l’ouest, son père s’enrôla dans l’armée du Parlement. Cette armée se battit bien, mais la révolte fut rudement réprimée par les troupes royales. Le capitaine Locke se conduisit en bon soldat, mais souffrit cruellement dans ses intérêts privés : presque ruiné, il recouvra à grand’peine sa position. Il est à croire que John Locke, lorsqu’il quitta son village à l’âge de quatorze ans, pour venir à Londres, avait été souvent interrompu dans ses premières études. Le meilleur de son savoir lui venait sans doute moins des livres que des réflexions précoces qu’il avait pu