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facilement d’un petit nombre de preuves. Jusqu’à quel point, en effet, la loi logarithmique était-elle avant tout fondée en fait ? J’en étais là lorsque parut le travail de Hering. À la suite d’une première lecture, je crus que c’en était fait de la psychophysique de Fechner, tant le nouvel assaillant avait mis de vigueur dans les coups qu’il lui adressait. J’en pris bravement mon parti ; quand on est dans une mauvaise voie, il n’est jamais trop tôt d’en sortir. Je me mis à relire plus attentivement et à tête reposée le discours du professeur de Prague. Je crus reconnaître alors que la partie fondamentale de l’œuvre de Fechner n’avait pas subi d’atteinte et était restée debout. Il me sembla même que ma doctrine, contre laquelle Hering, sans s’en douter, s’était aussi escrimé, était demeurée à peu près intacte. Je ne me faisais d’ailleurs pas illusion, et je n’étais pas rassuré complètement sur l’issue d’un second assaut semblable. Après avoir répondu à Hering, je concluais en ces termes : « Je ne sais si cette défense sauvera, momentanément du moins, la loi logarithmique de Fechner. Mais quelque destinée que l’avenir réserve à cette loi et aux théories auxquelles elle a donné naissance, les lecteurs qui ont suivi attentivement cette longue argumentation, reconnaîtront sans peine que la question des rapports de l’âme et du corps est sortie aujourd’hui des nuages de la métaphysique pour n’y plus rentrer jamais. Ce sera la gloire impérissable du philosophe physicien de Leipzig[1]. »

Ce préambule était nécessaire pour bien définir le genre du débat qui s’agite autour de la loi de Weber. Les sectes philosophiques sont un peu comme les sectes religieuses : elles sont exclusives. Chacune est prête à s’écrier : Hors de mon église, pas de salut. Là, comme ici, les conversions sont rares ; et, bien qu’il y ait presque autant de confessions différentes qu’il y a d’individus, on vient à chaque instant se heurter contre une foi aveugle et intolérante, qui aux arguments oppose parfois la passion, la colère et les violences. Autour de la loi logarithmique, la bataille est calme et courtoise. C’est que le point en litige touche aux sciences naturelles, que les preuves apportées de part et d’autre sont puisées dans les faits et non dans la raison pure, que le terrain est ainsi parfaitement circonscrit et connu de tous, et qu’on ne combat pas dans le vide. Aussi Fechner, tout convaincu qu’il est d’être resté, quant à ses formules et à sa manière de voir, à l’abri des coups de ses adversaires, énonce une conclusion au fond peu différente de la mienne. En attendant mieux, pense-t-il, et vu le peu d’accord qui se manifeste entre les critiques, sa théorie serait encore la plus plausible de toutes. « De même, dit-il en terminant,

  1. Revue phil., loc. cit., p. 262.