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bizarre, mais souvent ingénieux, étaient pour moi des armes que je n’avais pas vu charger. » Aussi, mécontent de la culture qu’il a reçue, M. Arréat, après les années de jeunesse, a voulu refaire et reprendre, par un effort personnel, l’instruction insuffisante du collège, et c’est cette éducation libre de la maturité, poursuivie à travers toutes les lectures et se développant sous les influences les plus opposées, qu’il a cru utile de nous faire connaître dans sa marche et dans ses résultats.

Beaucoup de nos contemporains, esprits un peu flottants, parce qu’ils ont tout étudié, un peu blasés, parce qu’ils ont tout lu, se reconnaîtront sans doute dans le tableau sincère que l’auteur nous trace de ses doutes, de ses curiosités, de ses perplexités intellectuelles. Esprit actif et toujours en mouvement, il va des philosophes aux poètes, il quitte la Logique de M. de Strada pour un roman de Zola ; il passe de la physiologie à l’architecture ; il se fait l’écho de toutes les doctrines, de toutes les théories, de tous les sentiments de son temps. Son livre est tout le xixe siècle littéraire, philosophique, scientifique, vu à vol d’oiseau. Certes, si une pareille méthode ou absence de méthode voulait s’ériger en système pédagogique, il est évident qu’on ne saurait approuver cette dispersion de la pensée qui s’égare dans tous les chemins, qui ne sait pas se fixer, et qui semble n’avoir d’autre but que de se dépayser sans cesse. La première conséquence d’une telle orgie de lectures, c’est le bariolage d’un style trop imagé, qui emprunte des métaphores à tous les objets de la création. Un résultat plus grave, c’est la lassitude inévitable, le désenchantement qui suit ces voyages intellectuels trop prolongés, trop multipliés dans tous les sens. Mais reconnaissons que M. Arréat n’a nullement songé à se proposer pour exemple : il a seulement voulu, et il faut l’en remercier, nous donner son impression sincère sur les influences diverses qui, de notre temps, collaborent à l’éducation des âmes : de là une série de jugements, trop rapides sans doute pour être profonds, mais souvent justes et piquants, sur les manifestations de la poésie, de la science, de la philosophie contemporaine.

La conclusion à laquelle M. Arréat a été conduit, au terme de tant d’efforts, c’est que le positivisme est le vrai. Cette doctrine est, à ses yeux, « la plus propre à donner à notre enseignement moderne une salutaire discipline. » Et lui-même déclare avoir réussi à exclure de sa pensée « toute spéculation sur le problème dernier des choses ». M. Arréat, qu’il nous permette de le lui dire, n’a cependant pas le tempérament positiviste : à en juger par son livre, c’est un esprit inquiet, incertain malgré son positivisme apparent, et qui apporte dans les questions philosophiques autre chose encore qu’une vive curiosité : une sorte d’anxiété douloureuse. Le positivisme, où il croit aujourd’hui avoir trouvé l’abri définitif de sa conscience, ne lui suffira peut-être pas longtemps : toujours en quête d’une vérité qui se dérobe toujours, son esprit, avide de connaître, a jusqu’ici cherché sans cesse : il cherchera encore.

G. C.