Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
434
revue philosophique

limites, car, avec la vieillesse, l’organisme, s’affaiblissant, ne peut plus contrebalancer les actions externes par des actions internes proportionnées. Si l’adaptation individuelle existait seule, la vie disparaîtrait promptement de la surface du globe. Mais en même temps qu’ils sont aptes à se plier, en une certaine mesure, aux modifications du milieu où ils vivent, les organismes sont doués du pouvoir de se reproduire et d’assurer ainsi la continuité de la vie.

Quelles sont les lois générales de la multiplication ? On peut les déterminer à priori. En premier lieu, tout organisme vivant est un équilibre mobile entre des forces destructives et des forces conservatrices ; si les premières étaient en excès, les espèces seraient anéanties ; si les secondes prédominaient, l’espèce se propagerait à l’infini ; il doit donc s’établir entre les unes et les autres une compensation et une balance. Par conséquent, quand l’une des forces antagonistes surabonde, il en résulte une déviation dont le résultat est de produire certaines forces en sens contraire, qui engendrent une déviation opposée et compensatrice. Ainsi est entretenu l’équilibre mobile de la vie.

En second lieu, plus l’aptitude de chaque individu à se conserver est grande, plus faible doit être l’aptitude à la reproduction. Si ces deux aptitudes grandissaient de concert, il en résulterait une prédominance excessive du système des forces internes, et par suite une rupture d’équilibre irréparable. Aussi voyons-nous que les espèces animales les moins bien armées pour le combat de la vie sont les plus fécondes.

En troisième lieu, il y a antagonisme constant entre l’individuation et la genèse. Appelons individuation l’ensemble des opérations par lesquelles la vie individuelle se complète et se conserve ; genèse, les opérations qui tendent à former et à achever les individus nouveaux. La première est une prise de possession de matériaux qui ne peuvent plus servir à d’autres organismes ; la seconde est une désintégration qui soustrait à l’organisme une partie de sa substance. Par conséquent, si divers que puissent être les aspects de l’une et de l’autre, tout progrès dans le volume, le développement, la complexité et l’activité des individus, sera compensé par une fécondité moindre.

Ces principes généraux, qui sont autant d’expressions nouvelles du principe de la persistance de la force, ne peuvent recevoir une rigoureuse vérification expérimentale. Trop d’obstacles s’y opposent : et la complexité et la variété infinies des forces destructives et des combinaisons qu’elles forment, et les variations des forces intérieures, et les genres si divers de multiplication, et l’impossibilité d’évaluer exactement les frais de genèse. Toutefois, en l’absence d’une comparaison et d’une statistique rigoureuses, on parvient, en s’en tenant aux moyennes de l’expérience, à établir les rapports suivants : il y a antagonisme entre le degré de la croissance en volume, du développement en structure, et de la dépense vitale, et le degré de la genèse agamique et gamique ; il y a au contraire coïncidence entre la richesse de la nutrition et la fécondité.