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carrau. — moralistes anglais contemporains

constituer un code suffisant de morale, d’être contrôlées, corrigées, conciliées par des maximes utilitaires, en sorte que ce qui fait la valeur de fintuitionisme, c’est en réalité un utilitarisme plus ou moins vaguement aperçu. Cette intéressante discussion remplit huit chapitres.

L’ordre dans lequel M. Sidgwick examine successivement les différents préceptes de la morale intuitive n’a rien de bien méthodique ; ce n’est d’ailleurs ici qu’un léger défaut. Selon le point de vue antique, il s’attache à la considération des vertus fondamentales, en commençant par les vertus intellectuelles, qui s’expriment d’un seul mot, la sagesse.

Rien de plus indéterminé que cette notion. Il semble que, aux yeux du sens commun, le sage soit celui qui poursuit également et par les meilleurs moyens toutes les fins rationnelles de l’activité et qui, a par sa conduite en conformité parfaite avec le code véritable de la morale, atteint le plus grand bonheur possible à la fois pour lui-même et pour le genre humain, ou pour cette portion du genre humain à laquelle ses efforts sont nécessairement limités. » Mais s’il est vrai, comme on l’a démontré, que cette conciliation entre les différentes fins rationnelles soit impossible ; si, par exemple, l’égoïsme détermine une conduite opposée aux véritables intérêts du genre humain, quel sera le sage ? celui qui recherche son utilité propre ou celui qui en fait le sacrifice ? Á cette question, le sens commun ne donne aucune réponse claire et précise.

Cette assertion de l’auteur a de quoi surprendre. Sans doute, le sens commun décore quelquefois du nom de sagesse l’égoïsme bien entendu ; mais il ne s’avise pas d’y voir une vertu, sauf peut-être par le contraste qu’il présente avec les inspirations irréfléchies d’une sorte de donquichottisme humanitaire. Mais, toutes les fois qu’il est employé dans une acception vraiment morale, le mot sagesse exprime cette intuition supérieure du bien absolu, qui est à la fois la condition et la récompense des vertus les plus hautes.

Après l’analyse de la sagesse, l’auteur passe à celle de la bienveillance. En quoi consiste précisément le devoir de bienveillance ? Nous oblige-t-il simplement à faire tous nos efforts pour augmenter le bonheur d’autrui ? Non ; car il semble qu’une conduite qui aurait extérieurement ce résultat, sans être inspirée par aucun sentiment sympathique de l’agent, ne serait pas proprement bienveillante ; il faut que l’acte ne soit pas accompli en vue du seul devoir et qu’on sente au travers la chaleur d’un cœur aimant. Mais d’autre part, il n’est pas en notre pouvoir d’éprouver tel ou tel sentiment ; les affections ne sont pas volontaires ; partant, elles ne sauraient être