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En effet, dans un endroit qui n’a peut-être pas été assez remarqué, Sextus Empiricus emploie le langage suivant, qui est, on en conviendra, d’une rare précision : « Les partisans de Platon et ceux de Démocrite estiment que les intelligibles seuls sont vrais : Démocrite, parce que rien de sensible n’existe sous la réalité naturelle, et parce que les atomes qui composent tous les êtres sont purs de toute qualité sensible ; Platon, parce que les choses sensibles sont dans un éternel devenir, leur substance s’écoulant à la façon d’un fleuve, de telle sorte que le même objet ne peut ni durer ni être perçu deux instants de suite[1]. » — Voilà qui est net. Chez Démocrite comme chez Platon, deux sortes de connaissances sont en présence : l’une intelligible, l’autre sensible ; et, chez Démocrite comme chez Platon, la connaissance sensible est éliminée, parce que le phénomène sensible n’a aucune persistance, aucune réalité, aucune durée. En outre, d’après le grand texte déjà examiné précédemment, Démocrite appelait la sensation une connaissance conjecturée, ϰατὰ δόξαν, une connaissance d’opinion. Et, sur ce point encore, Sextus compare un peu plus loin Platon à Démocrite, et rappelle, en se servant des termes que nous avons relevés, que Platon sépare profondément la notion intelligible de l’opinion qui est liée à la sensation, τὸ δὲ δόξῃ μετὰ αἴσθήσεως[2]. En sorte que, à n’en pas douter, chez Démocrite, la sensation, l’impression coutumière, la conjoncture sensible sans vérité, sans valeur logique, est à la raison ce que, chez Platon, l’opinion est à l’intuition des intelligibles ou des idées. Et, en parlant ainsi, on ne force pas le rapprochement, on n’exagère pas les analogies, on n’identifie pas la théorie de la connaissance chez Démocrite avec la théorie correspondante chez Platon : on ne fait que reconnaître, d’après des textes répétés, que si la première ressemble à quelque doctrine ultérieure sur l’intelligence, c’est surtout à celle de Platon.

Maintenant, quoique les expressions métaphysiques de forme et de matière ne se trouvent point réunies dans les ouvrages de Platon de manière à composer une formule comprenant les éléments de la connaissance vraie, demandons-lui ce qui, dans son langage, répond d’avance au langage aristotélique.

Tous ceux qui ont étudié la psychologie de Platon savent de reste de quel côté il place ce que l’on appelle l’élément formel de la connaissance. Cet élément est, chez lui, l’idée, dont le nom grec signifie aussi forme. À mesure que l’esprit monte les degrés de l’échelle

  1. Sextus Empirir., Advers. Math., VIII, p. 459.
  2. Sextus Empir., Advers. Math., liv. VII, p. 401.