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lévêque. — l’atomisme grec et la métaphysique

IV


La théorie de la connaissance chez Démocrite n’a tout son intérêt et ne laisse apercevoir ses conséquences qu’aux yeux de ceux qui ont toujours présents à l’esprit les principes essentiels du système. Or, dans le système, il n’y a que des atomes mus dans le vide depuis un premier choc qui a produit tous les autres chocs. Cela posé, tous les êtres sont des corps, rien que des corps, l’homme comme le reste. Il faut en effet que les existences se déduisent géométriquement des prémisses adoptées. Qu’une psychologie encore novice, mais néanmoins par moments clairvoyante, rencontre des phénomènes peu dociles au joug du mécanisme géométrique, ce sera tant pis pour les phénomènes qui devront céder, et souvent aussi tant pis pour Démocrite, qui souffrira et gémira en présence des difficultés qu’il se sera suscitées à lui-même. N’importe ; regardons-le marcher d’abord droit son chemin, puis se heurter à l’obstacle, hésiter, reculer, avancer, et finalement franchir un certain saut ; nous verrons lequel.

L’homme a donc un corps composé d’atomes, comme tous les corps. Dans ce corps, il y a une âme. Pour quoi faire* Pour donner à ce corps deux sortes de mouvements, l’un qui est la vie, l’autre qui est la pensée. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, la pensée est un mouvement matériel, un mouvement d’atomes ni plus ni moins que les mouvements de la nature physique, quels qu’ils soient. Malgré des expressions qui semblent impliquer un hommage à la supériorité de l’âme sur le corps, l’âme est un corps, elle doit être un corps, le système l’exige. À ce titre, « le spirituel, ainsi que le remarque M. E. Zeller, n’est pas une puissance supérieure aux autres matières : c’est uniquement une partie de la matière[1]. » La seule différence qu’il y ait entre la matière du corps et celle de l’âme, c’est que les atomes de celle-ci étant ronds, sphériques, de la même nature que le feu, reçoivent, gardent et communiquent mieux le mouvement.

L’âme donc, qui est un corps dans un autre corps, est mue par les atomes extérieurs qui, pénétrant jusqu’à elle, grâce à nos sens, vont mouvoir les atomes dont elle est composée. Et Démocrite n’aperçoit dans l’activité intellectuelle qu’un phénomène qui résulte de la nature

  1. Die Philosophie der Griechen, t. 1er, 4e édition, page 814. « Das Geistige, ist ihm nicht die Macht über den gesammten Stoff, sondern nur ein Theil des Stoffes… »