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chose elle-même ». Il a su replier sur l’esprit lui-même le rayon visuel de l’esprit. Il a considéré son intelligence en face, il en a distingué les pouvoirs différents ; il a mesuré la portée de ces pouvoirs et tâché de découvrir les lois qui les gouvernent et les règles que leur imposent ces lois. Aristote le cite comme s’étant appliqué au moins un peu au travail de la définition. Démocrite avait composé soit des traités séparés, soit des chapitres d’un ou de plusieurs traités sur l’Intelligence, sur la Sensation, sur les Idées, sur les Règles logiques ou Canons. On avait de lui un ouvrage qui se confondait peut-être avec le dernier de ceux que nous venons de nommer, et qui était intitulé Confirmations, Κρατυντήρια. Suidas explique très-clairement que c’était un écrit dans lequel Démocrite révisait tous ses autres ouvrages et en portait un jugement à la fois critique et confirmatif. Or, même en l’absence du texte de ces différents traités, le titre qu’ils portaient prouve assez que l’auteur avait déjà à un certain degré ce que nous appellerions aujourd’hui des habitudes de critique et d’analyse subjective. D’où l’on peut tirer, sinon la certitude, du moins la grande vraisemblance qu’il n’admettait pas certains postulats, qu’il ne posait pas telles ou telles prémisses d’un caractère axiomatique sans s’entrapercevoir et en ignorant absolument ce qu’il faisait, surtout lorsque ces postulats étaient rattachés par les liens les plus serrés à ses propositions fondamentales sur le vide et sur les atomes. Que, dans l’un ou l’autre de ses écrits relatifs à des questions de logique, Démocrite ait étudié les postulats dont il se sert dans leurs rapports avec ses théories principales, il ne faut pas se risquer à l’affirmer. Mais ce qu’il est permis de retenir des observations précédentes, c’est que Démocrite savait trouver des prémisses pour ses raisonnements de géomètre atomiste ; c’est, en second lieu, que certaines de ces prémisses étaient de celles qui dépassent énormément l’horizon expérimental. Parmi celles-ci, ou plutôt au-dessus de toutes, nous rappellerons la fameuse maxime : « Rien ne naît à l’aventure, mais par raison et par nécessité. » Ce qui, fidèlement interprété, signifie : « Rien ne se produit que d’après des lois déterminées. » En termes plus précis encore : « Il n’y a pas d’existences sans lois. » Telle loi de la nature peut être contingente ; mais que rien ne naisse et n’existe sans lois, voilà qui n’est plus contingent. Pour parler le langage de Démocrite, c’est à la fois la raison et la nécessité mêmes, ἐϰ λόγου τε ϰαὶ ὑπ' ἀνάγϰης.

Toutes ces appréciations vont être éclaircies et, nous l’espérons, vérifiées, par l’examen de la critique de la connaissance humaine, que Démocrite avait poussée assez avant.