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lévêque. — l’atomisme grec et la métaphysique

pas médiocre. Quoi qu’il en soit sur la question qui nous occupe, le chapitre de l’ouvrage de M. E. Zeller est désormais le point de départ comme la base de tout travail nouveau, soit d’érudition pure, soit d’interprétation doctrinale. On le sait bien en Allemagne et en France. Dans son Histoire du matérialisme, qui vient aussi d’être traduite en français, Lange[1] a pris M. E. Zeller pour guide et l’a franchement avoué. Chez nous, M. Louis Liard, aujourd’hui professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Bordeaux, a soutenu à la Sorbonne en 1873 une remarquable thèse de Democrito philosopho, où, tout en pensant par lui-même et non sans profondeur, il n’a eu garde de se priver des secours et des lumières que lui offraient le livre de Mullach et La philosophie des Grecs de M. Ed. Zeller.

On ne serait pas trop téméraire en affirmant que la doctrine de Démocrite est aujourd’hui définitivement retrouvée et reconstituée, autant du moins qu’elle pourra l’être jusqu’à l’heure où l’on aura découvert dans quelque nouveau Pompeï tout à coup exhumé un des ouvrages perdus du disciple de Leucippe. Mais quel était au juste l’esprit de cette doctrine ? Ce serait se former de Démocrite une idée aussi fausse que grossière que de le prendre pour un génie exclusif et absolu, pour un partisan fanatique du pur empirisme, pour un adversaire déclaré de la raison, pour un physicien affirmant la matière telle seulement que nos organes la rencontrent et que nos sens nous la représentent. Les préoccupations philosophiques de la science contemporaine ont amené les penseurs à un point de vue nouveau, du haut duquel l’atomisme de Démocrite a été mieux aperçu, mieux compris. Il est arrivé qu’une partie notable des savants modernes, après avoir commencé par l’empirisme, ont enlevé peu à peu à la matière toute réalité sensible, et déclaré que l’étendue corporelle n’est qu’un concept de l’entendement humain. De leur côté, les philosophes, en France et ailleurs, en disaient autant. Dans une étude où il a su allier beaucoup de sagacité à des connaissances étendues, M. Nolen a mis en relief l’idéalisme de Lange. Il nous a montré l’historien du matérialisme prenant à son compte ces mots de Rokitansky : « La théorie atomistique conduit justement à une conception idéaliste du monde. » Au début de cette même étude, M. Nolen a écrit : « Le titre de l’Histoire du matérialisme de Lange risque d’égarer les lecteurs sur la véritable doctrine de l’auteur, et les expose à prendre pour la justifica-

  1. Histoire du matérialisme et Critique de son importance à notre époque, par F. -A. Lange, traduit de l’allemand sur la 2e édition par B. Pommerol, avec une introduction par D. Nolen, professeur à la Faculté de Montpellier. T. I, Histoire du matérialisme jusqu’à Kant. Paris, C. Reinwald et Cie.