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L’ATOMISME GREC ET LA MÉTAPHYSIQUE




I


Parmi cette légion d’esprits curieux, actifs, quelquefois puissants, qui ont philosophé en Grèce avant l’école socratique, Démocrite est l’un des plus étendus et des plus vigoureux, peut-être le plus vigoureux en même temps que le plus étendu. C’est, dans l’ordre des temps, la première intelligence encyclopédique. Sans doute, presque tous ses prédécesseurs ou ses contemporains, emportés par une impatiente avidité de connaître et de comprendre, ont essayé comme lui d’embrasser la totalité des choses pour l’expliquer. Nul d’entre eux cependant n’a montré la profondeur, la netteté, la force de raisonnement, l’habileté systématique que l’on s’accorde à lui reconnaître. L’antiquité lui rend ce témoignage qu’il a lutté dans tous les combats de l’esprit et qu’il y a été vainqueur, autant du moins qu’alors on pouvait l’être. Diogène de Laërte cite un passage de Thrasyllus ainsi conçu : « Si les Rivaux sont de Platon, Démocrite paraît être cet interlocuteur anonyme, différent d’Œnopide et d’Anaxagore, qui, dans un entretien avec Socrate, disserte sur la philosophie et compare le philosophe à l’athlète vainqueur au pentathle. En effet, il (Démocrite) était lui-même philosophe dans ce sens ; il avait cultivé la physique, la morale, les mathématiques, les lettres, et il avait une expérience consommée dans les arts[1]. » Le sceptique Bayle, ayant rencontré cet éloge, n’a point pensé que Thrasyllus eût surfait Démocrite. Au contraire, il s’est approprié ce jugement et l’a traduit en un noble langage. « C’était, a-t-il dit, un beau génie, un esprit vaste, pénétrant, qui donnait dans tout. La physique, la morale, les mathématiques, les belles-lettres, les beaux-arts, se trouvèrent dans la sphère de son activité. Il devint très-habile dans

  1. Diogène de Laërte, Démocrite, liv. IX, ch. vii : Tauchnitz, 148. — Voir la traduction française de Ch. Zévort, tome II, p. 209.