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selon nous, à séparer ainsi de l’esprit les parties irréfléchies et instinctives de l’intelligence, pour lui attribuer seulement les facultés attentives et véritablement maîtresses d’elles-mêmes.

Il y avait, à coup sûr, convenance, dans un livre sur l’imagination, à suivre dans son évolution la plus haute, c’est-à-dire dans l’art et dans la poésie, une puissance mentale qui n’est à son début que la simple faculté de voir les yeux fermés ce qu’on a vu les yeux ouverts. Seulement le danger, déjà signalé, de sortir du sujet, s’aggrave encore sur ce terrain nouveau, et l’auteur ne s’en défie pas assez. Ainsi, le chapitre IX tout entier qui, sous ce titre : l’Expression dans l’homme, est employé à montrer comment les facultés de l’âme s’expriment au dehors par des mouvements directs ou symboliques, ne saurait être considéré que comme une digression. De même, quoique à un moindre degré, pour les développements sur les conditions de l’art, sur les caractères expressifs des sons, des lignes et des couleurs. On suit avec intérêt les discussions engagées par l’auteur avec M. Littré ou M. Taine : mais on ne peut s’empêcher de penser que ces vives polémiques n’ont qu’un rapport éloigné avec l’étude de l’imagination.

À vrai dire, la pensée qui domine les dernières pages du livre, ce n’est plus l’analyse des images, c’est la préoccupation constante qui semble inspirer tous les écrits du savant et actif professeur de la Faculté de Dijon, et qui fait jusqu’ici l’unité de ses travaux : c’est la démonstration toujours et partout poursuivie de l’âme humaine, de son énergie, de son activité libre et réfléchie, de sa supériorité sur l’instinct, sur la sensation, sur l’image. Aussi insiste-t-il avec complaisance sur ce qui est à ses yeux le caractère essentiel de l’artiste : la faculté de dominer, de gouverner les représentations imaginatives, afin d’y introduire de l’ordre et de l’harmonie. Les efforts réfléchis du peintre ou du poëte qui adhère à tel ou tel idéal et qui, s’emparant des matériaux fournis par l’imagination spontanée, les subordonne à une conception maîtresse, n’est-ce pas une manifestation et une preuve nouvelle de cette raison supérieure que, dans ses livres sur l’Instinct, sur l’Homme et l’Animal, M. Joly s’est déjà efforcé de mettre en pleine lumière ? Sur ce point, la préoccupation de l’auteur est telle qu’elle l’égaré dans des jugements téméraires, comme par exemple quand il exagère la part de la réflexion dans l’art, au point de dire : « Dans l’art, tout est confié au travail ; … l’homme ne peut pas compter sur le concours de la nature. » N’est-ce pas étrangement méconnaître ce qu’il y a de naturel, de spontané et d’irrésistible dans l’inspiration de l’artiste ou du poëte ?

La réfutation du mécanisme psychologique cherchée jusque dans l’étude de l’imagination, tel est donc le vrai sens, telle est la vraie portée du livre que nous analysons ; ne nous en plaignons pas, bien que l’observation purement descriptive des phénomènes en ait souffert. Ce que l’auteur a un peu négligé en effet, c’est précisément ce que pouvaient faire attendre la nature et le titre de la Bibliothèque qui a accueilli son travail : la peinture des effets psychologiques de l’imagination et de