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ANALYSESacollas. — Philosophie de la science politique.

Combien nous aimons mieux les chapitres (malheureusement trop courts) où M. Acollas condense enfin sa propre doctrine et nous propose ses conclusions ! Sa « formule de la science politique » est, selon nous, inattaquable ; l’idéal qu’il pose, fort pur et d’une grande élévation morale. Il indique en bons termes le « plan d’après lequel la science politique doit être construite », et l’urgence qu’il y a à subordonner enfin « l’art politique » aux principes, sans cesser pour cela de tenir compte des faits et de l’expérience. Il est dommage qu’il n’ait pas consacré à ces questions principales, sur lesquelles il est si bien inspiré, et qu’il traite avec un accent chaleureux, sans violence, une partie du temps et de la place qu’il a donnés aux discussions métaphysiques et théologiques. Nous aurions aimé le voir serrer de plus près cette grave difficulté : Comment, tout en prenant la « monade sociale », c’est-à-dire l’individu, pour centre et pour fin de toute l’organisation sociale, sauvegarder cependant la cohésion des groupes sociaux, l’unité de la commune, du département et surtout de la nation, unité sans laquelle, dans l’état de lutte ouverte ou sourde où sont encore entre elles toutes les nations, il n’y aurait plus pour l’individu même aucune sécurité. Car enfin la société a beau être une abstraction, l’État n’est pas, on l’avoue, une pure fiction ; et, pour préparer l’avenir idéal qu’on nous fait entrevoir, la patrie une et forte, loin d’être un obstacle, est une condition nécessaire.

La réponse est impliquée dans certains passages trop rares, mais, à notre avis, très-bien pensés, où l’auteur exprime cette vérité psychologique, que, si l’individu était pris pour fin, respecté en tous ses droits, objet de sollicitude de la part de toute la communauté, il ne pourrait manquer de devenir meilleur, moins égoïste, plus soucieux à son tour du bien public. De même, en effet, que la compression excessive perpétue les passions anarchiques qu’elle a pour but de contenir, de même il est à croire qu’un exercice libéral de l’autorité la rendrait de plus en plus forte en la faisant aimer. Mais c’est là le point précisément sur lequel il faut insister. C’est de cela qu’il faut convaincre les esprits qui, de très-bonne foi, redoutent pour l’ordre public les effets de la liberté. Il faut leur faire toucher du doigt le cercle vicieux dans lequel on s’enferme, quand on espère obtenir l’ordre civil d’une force extérieure se prenant elle-même pour unique fin et traitant comme de simples moyens les personnes. S’il est vrai, comme nous le croyons aussi, que l’ordre, le seul ordre définitif et véritablement moral, ne s’obtiendra que par le concours des bonnes volontés individuelles, cette vérité est d’une telle importance qu’il ne suffit pas de l’indiquer ; ce doit être l’objet même de la philosophie politique de l’établir. Ce sera ensuite à la science politique de chercher les moyens de la faire passer dans la pratique. Et l’art politique consistera à ménager les transitions, de façon à ne point compromettre le présent en préparant l’avenir, mais à sauvegarder toujours l’unité de l’État et la sécurité de la patrie.

Henri Marion.