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ANALYSESacollas. — Philosophie de la science politique.

Acollas (Émile). — Philosophie de la science politique et Commentaire de la Déclaration des droits de l’homme de 1793. (Paris, A. Marescq aîné, i vol. in-8, vii-524 p.).

Pour bien des raisons, la science politique est d’une difficulté particulière. La complexité infinie des phénomènes qu’elle étudie, la passion qu’il est presque impossible de n’y pas apporter, font qu’aujourd’hui encore, un siècle après Montesquieu et vingt-deux siècles après Aristote, elle est plutôt en voie de formation que vraiment constituée. Plus il importerait qu’elle passât enfin à l’état de science positive, plus elle est lente à trouver définitivement son assiette. On dirait qu’elle est retardée par l’intérêt même qu’elle excite.

Dans cet état de choses, écrire une philosophie de la science politique pourra sembler une entreprise prématurée, à ceux du moins qui regardent la politique comme une science naturelle. Car la philosophie des sciences d’observation, n’étant que l’ensemble des généralisations les plus hautes qui se dégagent des faits observés, n’est possible que dans un état avancé de ces sciences, quand elles peuvent se dire en possession de quelques lois dominantes, très-vastes, très-simples et incontestées. — On ne peut donc s’empêcher de mêler un peu de défiance à la curiosité avec laquelle on ouvre le livre de M. Acollas, après avoir lu sur la couverture cette épigraphe : La politique n’est qu’un chapitre de l’histoire naturelle. Si c’est là, se dit-on, la formule qui résume la philosophie politique de l’auteur, cette philosophie court grand risque de n’être ni originale ni précise. Et l’on craint de ne trouver que des développements plus ou moins heureux sur ce thème aujourd’hui banal : « une société est un organisme ; » conception ingénieuse, mais sans rigueur, non inutile peut-être, mais fausse dès qu’on la presse trop, en tout cas d’une évidente insuffisance.

Fort heureusement, cette épigraphe est trompeuse : la crainte qu’elle fait naître n’est nullement justifiée et se dissipe vite à la lecture du livre. Il est regrettable que M. Acollas paraisse ainsi au premier abord se mettre sous le patronage d’Aug. Comte et d’Herbert Spencer, quand il se propose tout au contraire de les combattre. Il le fait même avec tant de vigueur et à tant de reprises, que c’est presque l’intérêt principal de son ouvrage. Au fond, l’ouvrage entier est une protestation contre l’esprit des fondateurs français et anglais de la Sociologie. L’auteur est sans pitié non-seulement pour ce mot barbare, mais pour toute l’école positiviste, qui l’a inventé et propagé, pour « l’impuissant Aug. Comte et son disciple plus impuissant encore, le vieil érudit Em. Littré. » Il ne voit en Spencer qu’un disciple de Comte, « disciple hérétique, qui n’a pas de peine à valoir beaucoup mieux que le maître, mais qui n’en est pas moins considérablement surfait. » Ce qui le choque par-dessus tout, c’est « ce fantastique organisme social », dans lequel Spencer veut trouver à tout prix un système alimentaire, un système circulatoire, un système régulateur. « Ô folie ! s’écrie-t-il. Ce philosophe ne s’aperçoit pas que sa base n’est qu’une métaphore et