Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
ANALYSESe. zeller. — La Philosophie des Grecs.

et de la nature qui rayonne dans toutes les œuvres de l’esprit grec.

La différence est plus difficile à saisir, si l’on vient à la comparer avec la philosophie moderne. La distinction encore doit être cherchée dans le contraste de l’esprit ancien et de l’esprit moderne. La culture grecque réside dans l’unité indissoluble du spirituel et du naturel. M. Zeller applique cette formule à toutes les formes de la civilisation grecque, à la religion, à la politique, à l’art, surtout à l’art, et il renvoie à Hegel et à Vischer, qui ont admis cette formule. Il s’en sert aussi pour la philosophie. L’art grec se distingue de l’art moderne par son objectivité. La forme ici encore est exactement remplie par le fond ; le fond est réalisé par la forme. L’esprit ne fait qu’un avec la nature. L’idée ne s’affranchit pas encore du phénomène (p. 132). Que l’on compare avec le chapitre Ier de l’Esthétique de Hegel[1], ou sont décrites les formes de l’art, on verra si M. Zeller est resté ici ou non fidèle hégélien.

La division de la philosophie grecque dans les principales époques, et la caractéristique de ces époques, ainsi que l’enchaînement des divers systèmes qui les remplissent est un point également de la plus haute importance. M. Zeller a raison de combattre les historiens, peu philosophes en cela, qui regardent cette question comme accessoire, sinon indifférente. C’est bien, comme il le dit, une œuvre objective, non purement subjective. Quelle est sa division ? Il reconnaît trois époques principales dans le développement de la philosophie grecque. Une première période est celle qui commence à Thalès et finit à Socrate. La seconde comprend seulement Platon et Aristote. Elle marque le plus haut degré de la spéculation grecque. La troisième, partant du stoïcisme et de l’épicuréisme, se prolonge jusqu’à la fin de la philosophie grecque. La tendance exclusivement pratique y domine et en marque le caractère.

Nous croyons cette division fort contestable, non pour la première période qui est très-bien établie par des raisons convaincantes, mais pour la seconde et la troisième. Est-il vrai qu’il faille rompre la chaîne des écoles socratiques après Platon et Aristote ? qu’alors commence réellement une ère nouvelle ? La thèse nous paraît difficile à soutenir. Qu’il faille introduire une division secondaire, cela est certain, mais le mouvement de la pensée est-il achevé ? Un autre a-t-il succédé ? C’est ce qu’il est difficile d’accorder pour toutes les écoles suivantes, stoïcienne, épicurienne, pour la nouvelle Académie, les sceptiques, etc. Et que dire du néoplatonisme alexandrin mis à côté de ces écoles et rangé à son tour dans cette époque ? Ici, les raisons de M. Zeller nous paraissent très-faibles. Pour soutenir son opinion, il est obligé d’attribuer au néoplatonisme une tendance et un caractère essentiellement pratiques, de lui refuser un grand essor spéculatif dans Plotin et Proclus. D’autre part, le mysticisme alexandrin ne contraste-t-il pas avec tout le déve-

  1. 1. V. en allemand : Æsth. Vorles. Zweiter Theil. Einleitung, et dans notre traduction, 2e partie, introd.