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ANALYSESe. zeller. — La Philosophie des Grecs.

« soumis à des lois. » Ce jugement est-il parfaitement équitable et de Hegel M. Zeller n’a-t-il retenu que cela ? En dépouillant le vieil homme, c’est-à-dire en se dégageant du système hégélien, il nous semble qu’il en a conservé beaucoup plus qu’il ne dit. S’il nous était permis ici de parcourir l’ensemble de son vaste et savant travail, il nous serait très-facile de le démontrer ; de relever en une foule d’endroits les emprunts qu’il a faits à Hegel et que lui-même n’a ni pu ni cru devoir toujours déguiser.

Nous lui rendons volontiers cette justice qu’il a le plus souvent su éviter les écueils de la méthode de construction employée par Hegel. Sa méthode d’exposition et d’appréciation des systèmes fait beaucoup moins violence aux faits ; il s’attache à s’y conformer scrupuleusement. Il est loin de sacrifier, comme le fait souvent Hegel, avec sa dialectique, le libre mouvement de l’histoire à un formalisme abstrait. Mais cela n’empêche pas que, dans sa manière de comprendre la suite et l’enchaînement des systèmes, de caractériser les époques et les écoles, , d’apprécier la doctrine des grands philosophes, il n’ait beaucoup profité des résultats et souvent même ne se serve des formules de la philosophie hégélienne. Nous n’entreprendrons pas de le lui prouver, ce qui nous entraînerait trop loin. Malgré de très-notables différences, cette histoire est, au fond, d’un hégélien indépendant, mais d’un hégélien qui se souvient beaucoup de son passé. L’école hégélienne a droit de la revendiquer comme pénétrée de son esprit, inspirée par ses doctrines, sinon construite avec sa méthode.

Un problème difficile à résoudre pour l’historien de la philosophie est le rapport de la philosophie avec son histoire. Comment M. Zeller le résout-il ? 1° Il rejette avec raison l’identité admise par Hegel de la science et de son histoire. En cela, et nous l’en louons, il est tout à fait dissident. Mais il ne va pas jusqu’à prétendre que l’historien ne doit avoir aucune conviction, pas de système à lui ni d’opinion sur les grands problèmes dont cette histoire nous offre les solutions diverses. Comment en effet comprendre les doctrines des philosophes, mesurer la valeur et l’importance de ces doctrines, saisir leur rapports, etc., sans être guidé par des principes philosophiques ? L’historien doit donc apporter dans son œuvre un système personnel. Mais alors comment échapper à cette objection ? Ce système trop étroit, appliqué à l’histoire de la philosophie, doit la fausser.

La réponse de M. Zeller est loin d’être péremptoire : il reconnaît franchement d’abord que « l’écueil est inévitable ». La maxime toutefois, dit-il, n’est pas moins vraie. Elle ne peut être responsable des erreurs de l’historien. Soit ; mais alors quelle est cette maxime qui plane au dessus de l’histoire, si ce n’est qu’une maxime ? On aurait voulu quelque chose de plus net sur ce point capital. La vraie réponse, sans doute, est dans le progrès de la science et de la philosophie, qui permet à l’historien, s’il a su se placer au niveau de la science, de juger le passé sans se croire infaillible. De plus, la difficulté reste la même. Nous