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sont les supports et aussi les auteurs de tous les changements intérieurs et extérieurs. Le mouvement ne vient donc pas aux atomes du dehors, comme le veut Descartes ; il est immanent, en tant qu’il résulte des relations déterminées de ces atomes, et il est par suite aussi ancien que ces monades elles-mêmes. Ces forces déterminées dès l’origine ont produit aussi un monde déterminé. Il n’y a pas, pour le penseur, de chaos, dans le sens d’indétermination absolue ; tout aurait été impossible à tout jamais, si le nombre des conditions à remplir pour qu’un phénomène se produisît avait été illimité. Le monde doit être regardé comme la totalité d’un nombre fini de forces s’exerçant dans des conditions finies elles-mêmes et déterminées.

Ce monde de monades, de forces spirituelles, ne peut être à lui-même sa raison d’être, et la pensée se pose un nouveau problème : Quel est le principe d’un tel monde ? Cette multitude de monades, qui sont les parties du tout, comme la pluralité des moments dans le développement de ce tout, pourraient s’expliquer par la différenciation d’une unité primitive, et la pensée exige le postulat d’une semblable unité. Mais il ne suffit pas de poser cette unité ; il faut savoir comment elle agit et comment de son sein peut sortir la pluralité.

Cette unité n’est pas une masse continue, homogène en elle-même, car nous ne comprendrions pas comment elle se résoudrait en atomes. Tous les phénomènes ne sont que des fonctions d’éléments multiples et déjà distincts dans l’étendue et au point de vue de la qualité. L’unité ne peut donc être une force naturelle, quelle qu’elle soit. Toute théorie mécanique ou chimique suppose un principe qui ne sera en lui-même ni chimique ni mécanique, et n’atteint pas elle-même le fond de la nature.

Adopter l’idéalisme subjectif, considérer la nature entière comme un phénomène purement subjectif, ne pas admettre qu’à ce dehors correspond un dedans distinct de nous-mêmes, c’est expliquer toute action par la passivité même, faire sortir le mouvement du repos, la vie de la mort ; c’est ne saisir que l’écorce de la réalité, prendre l’ombre pour l’être lui-même. Les changements qui se produisent en nous indépendamment de nous supposent nécessairement au dehors des facteurs réels.

Supposerons-nous comme principe du monde, comme unité dernière, une âme semblable à la nôtre ? Mais comment cette âme se serait-elle divisée en une infinité d’âmes particulières ? De plus, la vie de l’âme sensible et active ne se comprend qu’autant qu’il existe déjà d’autres êtres ; elle n’est donc pas elle-même, du moins en tant qu’elle est capable de sensations et de tendances, le principe de cette diversité.

Mais, en ce sens qu’elle est pensante, qu’elle est le νοῦς, l’âme est réellement la cause suprême. L’acte propre de la pensée en effet est de diviser et de réunir, de mettre dans le concept l’unité de la diversité. Dans toutes ses opérations, la pensée ramène à l’un le multiple, et de l’un fait sortir de nouveau la pluralité sans cesser d’être une. « La