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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS




J. Hüber. — Die Forschung nach der Materie. — Recherche de la matière. Munich, Ackermann, 1877.

L’historien bien connu des Jésuites, M. J. Hüber, a donné dans un petit volume (109 pages) un gros livre de métaphysique. C’est le résumé le plus complet et le plus substantiel que nous connaissions des idées philosophiques et scientifiques sur la question de la matière depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. La solution, telle qu’elle ressort naturellement de toutes les citations accumulées par l’auteur et de ses propres réflexions, est franchement anti-matérialiste, ou, pour employer l’expression consacrée, idéaliste.

« . Le philosophe Jacobi assistait en 1801 à une audience publique du premier Consul. « Qu’est-ce que la matière ? » lui demanda celui-ci. Le philosophe resta un moment sans trouver de réponse, et Napoléon lui tourna le dos avec sa brusquerie ordinaire. S’il voulut témoigner ainsi à Jacobi du mépris pour son silence, il ne réussit qu’à prouver sa propre ignorance. Le problème, en effet, n’est pas de ceux qu’on expédie en deux mots d’entretien dans une audience solennelle. Schelling, qui rapporte cette anecdote, remarque avec raison que cette question détermine assez exactement le point que l’on pourrait appeler τὸ σκάνδαλον, ou le piège de la philosophie. En d’autres termes, le problème de la matière, la question de savoir ce qui constitue, en dehors de notre conscience sensible, le fond, l’essence des choses objectives, est des plus difficiles à résoudre, et toute la valeur d’une théorie du monde dépend de la solution qu’on adopte. Il ne s’agit pas seulement de savoir ce que c’est que la matière, mais si la matière existe. Pour une conscience naïve, abandonnée à elle-même, cette difficulté ne se présente même pas… ; il n’y a rien pour elle de plus palpable, de plus aisé à connaître, de plus certain que la matière ; ne la percevons-nous pas par tous nos sens ? Ne la touchons-nous pas de nos mains ? Le moindre coup d’œil ne suffit-il pas pour nous assurer et de l’existence et de la nature de la matière ? Il reste quelque chose encore de cette naïveté, là même où l’on ne s’attendrait pas à la rencontrer, par exemple dans les définitions que d’éminents physiciens ont données de la