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mantegazza. — transformation des forges psychiques

tère du travail isolé au papier sur lequel on écrit, à la statue que l’on sculpte, au livre qui nous enthousiasme et nous charme !

Ici, nous touchons à l’influence de l’imagination, nous sommes tout près de ces régions de la folie où des idées qui ne correspondent pas à des faits extérieurs peuvent servir d’impulsion à des sentiments qui, reposant à leur tour sur ces idées fausses, donnent carrière à leurs énergies en plein domaine pathologique. De cette étude découle un précepte pratique qui me paraît comporter de nombreuses applications. Les sentiments éveillés par des idées sont plus calmes, moins changeants et ont avec elles un étroit rapport d’analogie. Semons donc de bonnes idées dans nos cerveaux, et les affections déjà existantes en nous en recevront un reflet brillant. Les lois de l’analogie et de l’antithèse gouvernent toutes les catégories de transformations, et il faut toujours semer du grain pour avoir du grain, de l’ivraie pour avoir de l’ivraie.


X. — Est-il possible qu’une idée se transforme en une sensation ou plutôt qu’une idée donne une partie de sa propre énergie à des éléments sensitifs ? Tout fait accompagné de conscience est aussi une sensation, et en ce sens elle est un élément nécessaire de tout phénomène psychique élevé ou humble ; mais, en maintenant au mot sensation son caractère propre et véritable, nous devons dire que les sensations spécifiques sont fournies dans l’état normal par le contact des corps extérieurs avec les organes spécifiques des sens. Les souvenirs des sensations sont des ombres, des images des sensations, et elles sont d’autant plus pâles que la sensation a été plus faible et qu’un plus long temps s’est écoulé depuis son apparition. Comparez le souvenir d’une saveur, d’une odeur, d’un son avec les sensations réelles qui y correspondent, et vous toucherez du doigt la différence des deux groupes. Quelques hommes ont reçu de la nature une puissante capacité pour rappeler les sensations passées ; d’autres n’ont cette faculté que faiblement développée. Dans le domaine des sens spécifiques, nous ne pouvons que nous souvenir des sensations passées, tandis que, en ce qui concerne la sensibilité générale, nous pouvons susciter des sensations assez évidentes pour paraître réelles : dans certains cas, la pensée seule engendre à proprement parler des sensations véritables. Gœthe pouvait en fermant les yeux, par le seul effort de la volonté, faire apparaître devant lui des images symétriques et les dessins les plus variés ; je possède moi-même la même faculté depuis mon enfance, et, à un moment où j’étais atteint d’hypocondrie, je pouvais souvent susciter à volonté des douleurs dans une partie quelconque de mon corps.