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formation moins commune est celle d’un sentiment en une idée qui lui soit opposée : nous voyons pourtant les jeunes gens rêver de chasteté et les vieillards rêver de luxure ; on se souvient qu’au concile de Trente ce furent les prêtres jeunes qui se montrèrent les plus ardents apôtres du célibat.


VIII. — Une idée ne peut se changer par elle-même en une autre, parce que les idées sont choses distinctes les unes des autres, et leur netteté est un des caractères les plus saillants des grands penseurs. L’idée de la vertu ne peut se transformer en celle du vice, ni celle du beau en celle du hideux ; une idée en réveille une autre ou plusieurs autres par les lois de l’association ; mais, même en ce cas, nous retrouvons la transformation d’une force en une autre, parce que l’idée B ne se serait pas présentée à nous si une quantité de mouvement venue du dehors sous forme de sensation n’avait produit l’idée A, et l’idée C n’aurait pas eu lieu sans l’idée B. Qu’on imagine une seconde fois un fil électrique qui allume successivement et rapidement plusieurs pièces d’artifice distribuées sur un édifice pyrotechnique, et on aura l’image palpable de la succession des idées. De même qu’on ne peut allumer qu’une pièce qui ait sa mèche en état, ainsi il ne peut se réveiller dans notre esprit que des idées existantes, en d’autres termes, de l’énergie ne peut être libérée que sur les points où a été accumulée une force. Mais ces pièces s’allument-elles au hasard ou suivant certaines lois ? Je réponds aussitôt : suivant des lois constantes ; cela est si vrai, qu’il suffit d’un certain nombre d’associations étranges pour nous faire dire : Un tel est fou. Ici, nous nous trouvons sur le terrain de l’art de penser et d’écrire ; ici, nous sommes sur le domaine d’une rhétorique qui sera celle de l’avenir et qui devra se fonder sur la physiologie cérébrale et non sur des dogmes préconçus ou sur les modèles classiques qui ont pu et ont dû se tromper eux-mêmes tant de fois. Penser est précisément peser, et une série de pesages, c’est-à-dire de confrontations, c’est une méditation, c’est une découverte, une invention ; c’est un livre, un tableau, une statue.

Les lois fondamentales de l’association des idées me semblent les suivantes :

Une idée ne peut donner lieu à aucune transformation, ou parce qu’elle est trop faible et incertaine, ou parce qu’elle est trop intense. Nous voyons chaque jour que les idées confuses, fugitives, à peine formées, s’évanouissent sans donner lieu à aucune association. Mais les idées intenses n’en provoquent pas non plus, parce qu’elles absorbent toute l’activité cérébrale. L’idée esthétique d’un peintre ne lui fait entrevoir que combinaisons de lignes dans les feuilles