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mantegazza. — transformation des forges psychiques

du velours ou de la soie peut donner des frissons par toute la peau ou à la nuque ou le long de l’épine dorsale, comme l’application du froid aux parties génitales peut provoquer une douleur au cœur ou au ventre.

Même le goût, qui dans la hiérarchie des sens est à peine d’un degré supérieur au tact, qui est pauvre de sympathies sensuelles et liées, comme il l’est lui-même si intimement, à la digestion, le goût, dis-je, peut voir ses sensations transformées en nausées, en crampes d’estomac ou en phénomènes d’ordre tactile. Je connais un jeune homme qui en sentant la saveur du vinaigre est toujours pris de froid à la nuque, et le Dr Roubaud raconte qu’un autre ne peut manger de la crème fouettée sans être pris à l’improviste d’un fort mouvement érotique.

L’odorat est riche de sympathies avec les régions inférieures et supérieures de la vie psychique, et tout le monde connaît les liens étroits qui unissent les narines avec les régions voluptueuses. L’odorat est lié ensuite avec le goût si étroitement, que l’on a pu dire « que l’odeur est une demi-saveur, et que la saveur sans l’odeur n’est qu’une moitié de saveur. » Essayez, en mangeant, de vous boucher les narines, et vous verrez à quelle pauvreté de sensations gustatives votre langue sera réduite. De ces sphères inférieures de l’alimentation, l’odorat s’élève dans les plus hautes par la propriété dont elles jouissent de réveiller les souvenirs. On peut dire qu’il est le sens des réminiscences topographiques, car c’est un fait connu que d’innombrables sensations éprouvées dans le passé se réveillent seulement parce qu’elles ont été contemporaines d’une odeur donnée. Mais on sait aussi que le nez est dans de tels cas aussi pauvre d’associations intellectuelles précises qu’il est riche en ressouvenirs de sensations et d’émotions.

Si l’on veut se faire une idée du rôle considérable qu’ont la vue, le toucher et l’odorat dans l’exploration du monde extérieur, il suffit, de se rappeler ces phrases qui sont chaque jour dans la bouche de tant de gens : « J’ai vu, j’ai touché de la main, j’ai pressenti (subodorare) telle et telle chose. »

Ruden Saleh, de Java, peintre malais distingué que nous avons eu à Florence l’hiver dernier, me disait qu’il trouvait plus raisonnable de baiser avec le nez qu’avec la bouche, parce que l’odeur, que respire l’ami ou la femme aimée réveillait pour lui des souvenirs plus intimes et plus affectueux. L’odorat présente aussi plusieurs cas de transformations pathologiques ; ainsi je connais une dame qui à l’odeur du magnolia est prise de frissons par tout le corps, et nous voyons souvent un fort parfum produire la céphalalgie.