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correspondance

sang circule ? Et Lavoisier n’a-t-il pas été mieux inspiré en pesant de l’oxyde de mercure dans une balance qu’en faisant des syllogismes avec les aphorismes de Stahl ?

À quoi servirait de multiplier les exemples ? Sous ces variations innombrables, l’histoire des sciences pourrait se formuler ainsi : les erreurs du raisonnement renversées par l’expérience. Deux expériences ne se contredisent jamais, car ce qui est vrai ne peut pas être faux, tandis que deux raisonnements se contredisent, ou tout au moins on n’est jamais assez certain qu’un raisonnement est assez juste pour ne pas être contredit par un meilleur, dès que les bases de ce raisonnement ne sont pas fournies par l’expérience ou l’observation soit extérieure, soit psychologique.

Pour en prendre un exemple, qu’il me soit permis de reproduire le raisonnement de M. Egger. Entre l’étendu et l’inétendu, il n’y a pas de transition. Or, l’esprit humain est inétendu, et le corps est étendu. Donc aucune découverte ne pourra établir un lien entre le cerveau et sa fonction, étendus l’un et l’autre, et la pensée, inétendue. Si nous voulions examiner de près ce raisonnement, nous pourrions facilement prouver qu’il serait permis de dire, comme jadis Thomas Diafoirus à Angélique : « Nego majorem, » ou : « Nego consequentiam. » Mais une discussion sur des axiomes non démontrés et non démontrables serait fatalement stérile ; et une science fondée ainsi n’est qu’un jeu de l’esprit, destiné à être renversé par un jeu semblable, qui n’aura d’autre avantage que de venir à la suite du premier. À cette stérilité incurable, on peut opposer la fécondité de la méthode expérimentale. Là où il y a désaccord, incertitude, hésitation, obscurité, elle apporte la lumière, qui est le fait, c’est-à-dire la vérité. Cela est reconnu aujourd’hui par tous les savants, physiciens, chimistes, médecins, physiologistes. Y a-t-il encore des philosophes pour en douter ?

Il paraît que non, puisque M. V. Egger ne refuse pas à la psychologie expérimentale le nom de science et ne croit pas que la psychophysiologie doive être dédaignée. Nous sommes heureux d’être d’accord avec lui sur ce point. Comment nier en effet les résultats que l’expérience et l’observation psychologiques nous ont donnés ? Il suffit de lire — la lecture en est ardue — le Traité de psychologie physiologique de Wundt, pour être convaincu que c’est la une véritable science, qui se constitue à peine et hésite dans sa marche, mais qui grandira et se fortifiera si elle procède par la voie qu’elle a suivie jusqu’ici. La physiologie et la psychologie se sont unies pour nous donner une grande quantité dénotions précises, indiscutables, puisque ce sont des faits, la durée des sensations, des perceptions, des syllogismes (Wolf, Donders, Exner), la loi qui règle l’intensité relative de la perception et de la sensation (Fechner, Hering, Delbœuf), l’énergie spécifique du système nerveux central (Wundt, Helmholtz), les localisations cérébrales[1] (Hitzig,

  1. C’est ici que se place l’autopsie des cerveaux avariés.