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et jouant avec des images, conformément à ses propres lois. Mais, obéissant peut-être à des préoccupations religieuses, il craint d’accorder trop d’indépendance à cet esprit intérieur, qu’il trouve partout présent dans le monde, et il admet des idées éternelles, semées comme des germes dans le monde, déjà se développant obscurément dans l’âme des choses, et arrivant enfin à fleurir dans l’âme de l’homme.

Dans ce système du monde, la liberté n’apparaît pas avec l’homme comme quelque chose d’étrange, de mystérieux et de contradictoire ; elle n’est plus un miracle rompant l’enchaînement nécessaire des choses, une exception aux lois du mécanisme universel ; elle est présente à toute la nature ; elle y agit, elle y domine, elle préside au grand drame qui s’y joue, elle en dirige toutes les péripéties vers un dénouement heureux ; elle livre les perpétuelles batailles, remporte les victoires successives qui marquent les étapes du progrès universel. Il n’y a donc rien d’absurde à ce que l’esprit universel à sa plus haute puissance s’affranchisse de la nécessité mécanique. Devenu l’esprit humain, il poursuit sa tâche, il continue sous une forme nouvelle son œuvre commencée dans la nature ; il conçoit un idéal, il lui donne l’existence, il l’organise en quelque sorte dans la réalité, puis après s’être réjoui dans son œuvre, après s’y être arrêté un instant dans l’espérance illusoire d’un repos mérité, de la contemplation même de l’idéal réalisé, il fait jaillir des formes nouvelles, qui veulent vivre et prendre corps et qui, à peine développées, ne seront plus que les moyens d’une floraison plus belle encore. L’imagination objective a une double nature : elle est une force indépendante, en un certain sens indéterminée ; mais cette indétermination n’est en elle qu’un moment ; à dire vrai, elle n’est indéterminée que parce qu’elle se détermine elle-même. Elle est une force créatrice, qui invente ce qu’elle fait, qui se fixe son but et qui y marche ; elle est à la fois l’idée et l’action, la pensée et la force qui l’exécute. De même, la liberté dans l’homme n’est pas un libre arbitre indéterminé, une volonté aveugle, un effort absurde ; elle est raison en même temps que puissance ; elle crée l’idéal, puis elle l’exécute ; elle est l’artiste, dont les œuvres sont des rêves intérieurs avant de devenir des réalités visibles.

En résumé, dans le monde, deux principes : la matière qui fournit les éléments de l’édifice, l’esprit qui sans cesse les dispose, sans cesse les contraint d’exprimer quelque pensée plus haute, développant un plan où les créations nouvelles continuent les créations réalisées, s’y relient et les achèvent, où la beauté actuelle est comme une harmonie vivante, qui sans rien perdre de son unité peut se compliquer toujours de beautés en accord. Supposez un principe unique, partout identique à lui-même, le mouvement s’arrête, plus d’effort, plus d’action, plus de réalité : une masse d’atomes dort éternellement le lourd sommeil de l’inertie, ou l’esprit regarde passer en lui des mondes possibles, avec de soudaines impatiences de créer ; artiste puissant, il cherche en vain