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analyses. — froschammer. Die Phantasie, etc.

rhythme des vers y répond au battement de cœur de l’animal furieux d’amour, l’harmonie précipitée ou plus lente et plus douce aux cris irrités du désir qui s’éveille ou à la joie accablante du désir satisfait. De là l’amour mystique, l’amour idéal, avec ses fiertés et ses exaltations chez les poètes, avec ses souffrances réelles chez ses victimes ; soif toujours inassouvie, sorte de désir monstrueux, qui, moitié physique, moitié moral, par sa nature même, ne saurait être assouvi ; mais de là aussi la délivrance possible de l’esprit qui, affranchi de la dernière illusion, que suscite en lui le désir physique, se repose dans la sérénité d’une vie purement spirituelle. L’individu peut se dégager des fonctions inférieures de l’organisme, arriver à l’indépendance et à la pleine possession de lui-même par l’activité intellectuelle, se soustraire à la nécessité de perpétuer l’espèce, remplacer cette fécondité matérielle par la fécondité morale, cette création dans le monde des corps par la création dans le monde de l’esprit. L’imagination objective se transforme en imagination subjective, la force vitale en intelligence, la puissance génératrice en puissance d’évoquer des images, de saisir des rapports nouveaux, d’enfanter des mondes intérieurs.

Au-dessus de la vie organique, nous trouvons la faculté de sentir, d’éprouver du plaisir et de la douleur, faculté qui fait de l’individu un être pour lui-même, qui lui permet non-seulement de se distinguer des choses, mais encore de distinguer au moins obscurément son être de ses états successifs. Chaque organisme a sa forme déterminée et ses fins à poursuivre ; il est une idée de l’âme universelle ; supposons que cette forme et ces fins deviennent en quelque sorte visibles à elles-mêmes, que cette idée se saisisse telle qu’elle est réalisée : un trouble dans l’organisme deviendra une sensation douloureuse ; le plaisir, au contraire, naîtra de l’accord de tous les éléments disposés selon la forme organique, de la direction de toutes les forces vitales vers la fin qu’elles doivent atteindre. S’il y a sensation, c’est donc parce que l’idée objective, qui préside à la forme organique, s’apparaît à elle-même et se saisit dans toutes ses modifications. Comment s’expliquer cette intuition de l’être par lui-même ? Comment s’opère ce passage de l’inconscient à la conscience ? De même que l’homme ne prend possession de ses facultés qu’en les exerçant, de même qu’il doit conquérir, par l’effort, son intelligence, sa moralité, son génie artistique, ainsi, dans sa lutte contre la nature matérielle, dans son travail pour organiser l’inorganique, l’imagination objective de plus en plus se concentre, se surexcite, jusqu’à ce qu’elle arrive à la conscience de son œuvre, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive elle-même et ses modifications en percevant l’organisme et ses divers états.

La sensation serait inutile à l’être vivant, s’il ne pouvait agir conformément à cet avertissement de la douleur, à cette invitation du plaisir ; il ne suffit pas de jouir et de souffrir-, il faut connaître les objets extérieurs, parce que, seule, cette connaissance permet d’aller au-devant du plaisir et de fuir la douleur. Pour expliquer la connaissance par les