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nos forces, les lance.dans une même direction, leur imprime un irrésistible élan ? Et si l’amour inspire au poète, comme à l’oiseau ses plus beaux chants, n’est-ce pas encore parce que la puissance génératrice surexcitée entraîne l’âme dans son effort créateur ? Ainsi, dans la nature et dans l’homme, c’est le même principe qui fait apparaître les formes vivantes, sorte d’images objectives, et les images subjectives, sorte de formes vivantes, qui naissent et meurent dans l’esprit.

Dans sa lutte continue contre la matière inorganique, l’imagination objective développe ses forces, apprend à en faire usage ; plus habile, elle les multiplie, en les concentrant dans des organismes plus parfaits, à la fois plus compliqués et plus uns, jusqu’à ce que, par une longue suite de lents progrès, dans une dernière concentration de toutes ses forces, elle parvienne à s’affranchir, à se voir elle-même et à jouir de son œuvre. Devenue ainsi l’imagination subjective chez l’homme, cette puissance du travail et du mouvement en avant ne s’arrête pas dans l’inertie d’un repos stérile ; elle poursuit dans la pensée l’œuvre de beauté accomplie dans la matière ; elle crée la science, l’art et la morale ; elle invente des symboles pour les religions ; elle reproduit dans l’esprit le vrai monde tel qu’il est ; puis, toujours féconde, elle construit un monde de beauté, celui qui devrait être, auquel elle donne pour soleil l’espérance ; un moment satisfaite de son œuvre, bientôt mécontente, elle prend un nouvel élan vers une région plus haute, s’élançant ainsi d’un vol continu vers l’idéal inaccessible.


2e Livre : L’Imagination objective et son progrès dans la nature vers l’âme subjective. Nous avons à chercher maintenant ce qu’est l’imagination objective à son point de départ, à considérer l’origine et le développement des formes organiques, à marquer par quels degrés l’être s’élève peu à peu vers la possession de lui-même par la capacité de sentir et de percevoir, par le penchant, l’instinct et la conscience.

Au commencement, la puissance créatrice universelle doit être immanente à la matière, comme dans la graine est contenu le principe qui donnera à la plante sa forme et construira son organisme ; mais cette puissance universelle est plus indéterminée, plus riche, avec une tendance à se déployer en des formes d’une variété infinie. Ainsi, avant l’apparition des individus, la matière dans sa masse est dominée, pénétrée, et comme spiritualisée par un principe, que nous avons reconnu analogue à l’imagination subjective, mais qui est encore à l’état d’indétermination. L’auteur maintient ici à la fois contre l’idéalisme et contre le matérialisme la nécessité d’admettre au moins deux facteurs pour expliquer le développement du monde, un principe matériel et un principe spirituel, des éléments et une puissance pour les organiser. L’idéalisme n’est-il pas contraint d’opposer au moi un non-moi, au sujet un objet, pour arriver à la notion du réel ? Le matérialisme n’en vient-il pas toujours à donner à ses atomes étendus des attributs spirituels, comme la force ou je ne sais quelle obscure aperception ? Le