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REVUE PHILOSOPHIQUE

Aux premiers âges de l’humanité, on a fait trop de part à l’imagination ; est-ce une raison pour n’en plus tenir compte ? Si l’histoire de l’esprit humain n’est que l’histoire de ses erreurs, qu’est-ce qui prouve que l’esprit n’est pas une machine à illusions ? Pourquoi la vérité commencerait-elle avec nous ? En second lieu, l’imagination est sortie, comme l’entendement, du processus de la nature ; elle a donc, comme lui, et sa valeur et sa raison d’être. Il y a mieux à faire que de l’accuser de toutes nos fautes : c’est de nous demander ce qu’elle est en elle-même, d’où elle vient ; comment elle apparaît avec sa fantaisie dans ce monde de la mécanique, avec son libre caprice dans ce domaine de la nécessité ; quel est son rapport à l’erreur et à la vérité ; quel est son rôle dans l’existence et dans le développement des choses. C’est cette tâche que M. Froschammer entreprend. Dans un premier livre, il étudie l’imagination considérée seulement comme une faculté de l’âme humaine, s’efforçant de marquer son rôle exact dans la recherche de la vérité et dans les progrès de la connaissance, son action sur les sentiments, son influence sur la volonté, se demandant enfin si elle est un pouvoir dérivé ou une puissance primitive. Le second livre est consacré à suivre dans la nature le travail de l’imagination, reconnue comme le principe objectif et réel, qui préside à toutes les créations, et qui, par efforts successifs, s’élève de forme en forme, de perfection en perfection, jusqu’à ce qu’elle arrive à prendre conscience d’elle-même dans l’âme de l’homme. Le troisième livre nous ramène de la philosophie de la nature à la psychologie et nous révèle comment la force primitive et créatrice, qui à toutes choses donne sa forme, devient l’âme humaine et ses divers pouvoirs.


1er Livre : L’Imagination[1] comme puissance subjective de l’âme ; son action dans la connaissance ; son caractère {principal et objectif) de principe objectif. — Dans le sens vulgaire du mot, l’imagination n’est que la faculté de créer des images, auxquelles ne répond aucune réalité ; c’est la puissance qui préside aux jeux des enfants, à la religion symbolique et à la mythologie, à toutes les fantaisies de l’humanité dans sa jeunesse, à la poésie, aux songes, aux hallucinations, aux mirages. Rien ne justifie cette limitation arbitraire. L’imagination est la faculté d’évoquer dans l’esprit des images : peu importe que ces images soient l’œuvre d’un caprice de la fantaisie ou qu’elles aient quelque réalité objective. Cherchons les caractères propres de cette faculté. D’abord elle est un pouvoir d’analyse et de synthèse, puisque ses représentations sont formées d’éléments, qu’elle peut considérer tour à tour dans leur unité ou dans leur multiplicité ; en second lieu,

  1. L’auteur emploie le mot allemand Phantasie. La langue allemande lui permet d’employer des expressions multiples, qui répondent aux nuances de sa pensée, Einbildungskraft, Vorstellungsvermogen, Bildungskraft, et le mot précieux dans la philosophie de la nature, Gestaltungskraft. ; nous n’avons qu’un seul terme : imagination, avec la ressource des périphrases.