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delbœuf. — la loi psychophysique

physique, j’ai déterminé la forme d’un carton blanc qui, tournant rapidement autour d’un certain point devant un fond noir, produit une image lumineuse dont l’éclat va s’affaiblissant d’une manière insensible du centre vers la circonférence[1]. Si la théorie du seuil était rigoureusement exacte, on devrait voir des zones concentriques de teintes graduées. Voici un ciel bien pur ; le soleil, qu’il soit levé ou couché, l’illumine inégalement dans toutes ses parties ; l’horizon est nécessairement plus sombre et le zénith plus clair, par suite de l’épaisseur variable de l’atmosphère ; et cependant l’œil ne voit que des dégradations insensibles du plus obscur au plus clair. Les peintres d’ailleurs savent très-bien rendre de pareils effets. Bien mieux, le spectre solaire lui-même, avec ses vives oppositions de couleurs, ne présente aucun point d’arrêt, ni aucun passage brusque d’un ton à un autre ; et néanmoins on peut le découper en bandes suffisamment étroites pour que la teinte de chacune d’elles soit jugée absolument uniforme.

Le seuil n’a donc aucune importance psychologique.

On comprendrait que l’on pût faire tant d’état du seuil, s’il avait quelque chose de fixe, de certain, d’invariable. Mais, au contraire, rien n’est plus mobile que cet élément. C’est un véritable Protée. S’agit-il de pression, les différentes parties du corps ont un seuil spécial, et pour chacune d’elles il se diversifie suivant les dispositions du moment. S’agit-il de lumière, les différentes couleurs se comportent chacune à sa façon. L’ombre que je ne vois pas maintenant peut devenir visible l’instant d’après. Souvent même, elle le deviendra si elle se meut, et derechef, si elle se fixe, elle s’évanouira. C’est une expérience que tout le monde peut faire en agitant la main devant une lumière. C’est que l’ombre, en se déplaçant, vient se peindre sur des parties fraîches, c’est-à-dire non encore fatiguées de la rétine. Le seuil cesse ainsi d’être le seuil. Aussi il n’est pas de quantité moins apte à être prise pour unité, et c’est pourtant celle que Fechner choisit pour mesurer l’excitation, et la valeur de la sensation en dépendra. Voilà donc une nouvelle raison de rejeter sa formule. D’ailleurs, pourquoi la continuité qui se trouve en elle à partir de l’excitation seuil ne se trouve-t-elle pas en deçà de cette excitation ? pourquoi ici ce passage du positif au négatif ? Est-ce qu’à toute valeur de l’excitation — introduite dans la formule de mesure — ne répond pas toujours une valeur spéciale de la sensation, en

  1. Voici l’équation polaire de la coupe du carton : , et en spécifiant :  ; représente un nombre de degrés, un nombre de millimètres, et la base des logarithmes népériens.