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plus définies, c’est-à-dire un genre primitif et non différencié de gouvernement, d’où les gouvernements politiques et religieux sont sortis par différenciation, et où ils demeurent toujours enveloppés.

Ce qui fait que cela parait étrange c’est surtout qu’en étudiant les sociétés les moins avancées, nous portons avec nous les idées développées que nous possédons sur la loi et la religion. Dominés par ces idées, nous n’apercevons pas que ce qui fait pour nous la partie essentielle de nos règlements sacrés et civils, était primitivement une partie subordonnée, et que la partie essentielle se composait d’observances cérémonielles.

Il est évident à priori qu’il en doit être ainsi, s’il est vrai que les phénomènes sociaux sont un produit de l’évolution. Une organisation politique, un culte constitué, ne sauraient surgir brusquement ; ils font au contraire supposer qu’ils ont vécu auparavant d’une existence subordonnée. Avant qu’il y ait des lois, il faut qu’il y ait un potentat auquel des hommes soient soumis, qui promulgue des lois, et en impose l’autorité. Avant de reconnaître des obligations religieuses, il a fallu que les hommes reconnussent une ou plusieurs puissances surnaturelles. Il est évident que la conduite qui exprime l’obéissance à un chef, visible ou invisible, doit précéder dans le temps le frein civil ou religieux qu’il impose. Enfin cette antériorité du gouvernement cérémoniel que l’on peut affirmer au nom de la raison, nous la retrouvons partout.

L’histoire de l’Europe primitive nous fait voir à quel point dans le domaine politique l’accomplissement des formalités signifiant la subordination est la chose primordiale. Alors que la question de savoir qui serait le maître, se décidait, tantôt sur de petits territoires tantôt sur des territoires plus étendus qui les englobaient, il n’existait guère aucun de ces règlements que les gouvernements civils développés introduisent, mais on insistait beaucoup sur des signes d’humilité exprimant l’allégeance. À cette époque chacun en était réduit à se garder lui-même, et le pouvoir central ne pouvait s’opposer aux discordes sanglantes qui divisaient les familles ; on admettait si bien le droit de vengeance privée que la loi salique punissait l’acte d’enlever les têtes des ennemis des poteaux où elles étaient exposées, près de la demeure de ceux qui les avaient tués ; mais on exigeait rigoureusement des serments de fidélité aux supérieurs politiques et des manifestations périodiques de loyauté. Les petits chefs rendaient à un chef plus puissant un hommage simple qui ne tarda pas à devenir un hommage lige ; et le vassal qui, déposant son baudrier et son épée, fléchissait le genoux devant son suzerain, se déclarait son sujet, et prenait possession de son fief, y était à peu près le maître tant qu’il continuait à se conduire en vassal auprès de son