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que ce qui l’entoure ; néanmoins, on a beau diriger fixement ses yeux sur l’endroit précis où elle se peint, on ne parvient pas à la distinguer. Pendant le jour, c’est vainement qu’on cherche dans le ciel les étoiles qui à la tombée de la nuit s’allument tour à tour.

La sensation ne commence donc pas avec le d’excitation ; l’excitation doit avoir acquis une certaine intensité, atteint un certain seuil, pour que la sensation se manifeste.

Reprenons l’expérience. En supposant que les pouvoirs éclairants des deux lampes soient égaux et qu’elles soient à la même distance des deux ombres, celles-ci seront semblables et jugées telles. Porte-t-on l’une des lampes à une distance plus grande, le fond et l’ombre qu’elle éclaire vont s’assombrir de la même quantité absolue, et, par conséquent, cette ombre perdra en éclat relatif et tranchera davantage sur le fond. Au contraire, l’ombre qu’elle projette, ne perdant effectivement rien, gagnera en éclat relatif. Les contrastes réels ne seront donc plus égaux ; et cet effet se produit dès que l’on recule si peu que ce soit l’une des lampes ; pourtant la différence ne sera visible que lorsqu’elle aura atteint une certaine valeur. Et, en général, que les lampes envoient une lumière intense ou faible, pour qu’une inégalité s’aperçoive, il faut qu’elle ait une certaine importance et qu’elle atteigne le seuil différentiel. Une cloche ébranle au loin les airs. On n’entend rien. Mais on se rapproche, et l’on commence à saisir un son vague. Il conserve pendant quelque temps ce même caractère jusqu’à ce que, brusquement, semble-t-il, on remarque qu’il est devenu plus distinct. Puis, de nouveau, après une certaine période de constance apparente, il se manifeste tout à coup un second changement notable, et ainsi de suite. La sensation a donc l’air de se développer par soubresauts, par saccades ; elle a ses phases conscientes et ses phases inconscientes, comme l’air dans les tuyaux d’orgue a ses phases de dilatation et de condensation. Et, pour continuer l’image qui a fourni le mot seuil, on dirait qu’elle monte les marches d’un escalier à mesure que l’excitation croît, pour sa part, d’une manière insensible et continue. Elle tarde d’abord à faire son apparition, puis bientôt elle franchit une première marche : c’est le seuil de l’excitation ; puis elle en gravit une seconde, une troisième : ce sont les seuils différentiels, les seuils des différences sensationnelles.

En résumé, entre deux sensations, si rapprochées qu’elles soient, il y a une différence finie, et la première lueur de sensation, si faible qu’elle soit, est une sensation finie.

Voilà le fait, et, sans entrer dans de plus amples développements, on voit comment il se rattache aux difficultés qui ont été précédemment examinées.