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criminels non étrangers : il ne se contenta pas de faire pendre les cadavres des meurtriers d’Isboseth, mais « il leur fit couper les mains et les pieds ».

On peut donc conclure avec raison que l’usage d’exposer sur des gibets les criminels exécutés, ou leur tête sur des piques, a pour origine l’usage de prendre des trophées sur les ennemis tués. D’ordinaire, sans doute, on n’exposait qu’une partie de l’ennemi mort ; mais quelquefois c’était le corps entier ; le cadavre de Saül, par exemple, séparé de sa tête, fut pendu par les Philistins aux murailles de Beth-sçan. Enfin, si l’usage d’exposer le corps entier du criminel est plus fréquent, cela vient probablement de ce que l’on n’a pas à le rapporter d’une grande distance, comme il faudrait le faire pour celui d’un ennemi.

Encore qu’il n’existe aucune relation directe entre l’acte de prendre un trophée et le gouvernement cérémoniel, les faits qui précèdent nous font connaître des relations indirectes qui nous obligent à tenir compte de cette coutume. Elle entre comme facteur dans la constitution des trois formes d’autorité, la sociale, la politique et la religieuse.

Si, dans les états sociaux primitifs, on honore les hommes d’après leur bravoure, et si l’on apprécie leur bravoure tantôt d’après le nombre de têtes qu’ils peuvent montrer, tantôt par le nombre de mâchoires, tantôt par celui de chevelures ; si l’on conserve ses trophées d’une génération à l’autre, enfin si l’orgueil des familles grandit avec le nombre de trophées conquis par leurs ancêtres ; si les Gaulois, du temps de Posidonius, « déposaient avec soin dans des coffres les têtes de leurs ennemis qui étaient des personnes de la plus haute qualité, les embaumant avec de l’huile de cèdre, pour les montrer aux étrangers et s’en enorgueillir au point qu’eux-mêmes ou leurs pères refusaient de les céder pour de grosses sommes d’argent, il est clair que la possession des trophées devient le point de départ d’une distinction de classe. Quand nous apprenons que dans certains pays le rang d’un individu varie avec la quantité d’ossements qu’il possède à l’intérieur ou au dehors de sa demeure, nous ne pouvons nier que l’exposition de ces témoignages de supériorité personnelle ne crée en leur faveur une influence régulative dans les relations sociales.

À mesure que l’autorité politique se développe, l’acte de prendre des trophées devient en certains pays un moyen de conserver l’autorité. Outre la crainte respectueuse que le chef inspire quand il peut montrer sa puissance de destruction par de nombreux trophées, il en inspire une plus grande encore lorsque, devenu roi et placé au-dessus des. chefs des tribus soumises à son autorité, il ajoute à ses pro-