Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
herbert spencer. — études de sociologie

d’un genre analogue, qu’on avait jadis communément coutume de remporter, coutume qui s’est conservée jusqu’aux temps modernes dans le voisinage de l’Égypte. On m’excusera de citer un passage du récit que Bruce fait d’un usage des Abyssiniens ; il a une grande signification. « À la fin d’un jour de bataille, dit-il, chaque chef est obligé de s’asseoir à la porte de sa tente, et chaque homme de sa suite qui a tué un ennemi se présente à son tour devant lui, armé de toutes pièces, tenant le prépuce sanglant de l’homme qu’il a tué… Autant il a tué, autant de fois il se représente… La cérémonie finie, chaque guerrier prend son sanglant trophée, rentre chez lui et le prépare de la façon que les Indiens emploient pour leurs chevelures… L’armée entière… à un certain jour de revue, les jette devant le roi et les laisse à la porte du palais. » Il faut remarquer ici que le trophée, qui sert d’abord à prouver la victoire remportée par un guerrier, devient par la suite une offrande au chef et un moyen de dénombrer les morts, ce qu’un voyageur français, d’Héricourt, a vérifié récemment. Le même usage servait au même but chez les Hébreux, nous en avons la preuve dans le passage où est racontée la tentative que fit Saül pour trahir David, quand il lui offre sa fille Mical pour femme. « Et Saül dit : Vous parlerez ainsi à David, le roi ne demande pour douaire que cent prépuces de Philistins, afin que le roi soit vengé de ses ennemis ; » et David « frappa deux cent hommes des Philistins, et David apporta leurs prépuces et les livra bien comptés au roi. » (Samuel, xviii, 25, 27.)

Au motif direct de prendre des trophées s’associe un motif indirect qui joue un grand rôle dans le développement de la coutume. Des faits nombreux concourent à prouver que le sauvage, doué d’un esprit d’analyse faible, croit que les qualités d’un objet résident dans toutes ses parties, et c’est surtout des caractères d’un homme qu’il se l’imagine. Nous avons vu que de cette idée venaient les coutumes d’avaler des parties des corps des parents morts, ou de boire dans de l’eau la poudre de leurs os piles, afin de se rendre possesseurs de leurs vertus ; celle de dévorer le cœur d’un ennemi courageux pour acquérir son courage, ou ses yeux afin d’y voir de plus loin ; celle de s’abstenir de la chair de certains animaux, de peur de gagner leur timidité. Une autre conséquence de la croyance que l’esprit de chaque individu est répandu dans toute sa personne, c’est que la possession d’une partie de son corps confère la possession d’une partie de son esprit et par suite une puissance sur cet esprit. Il en résulte que tout ce qu’on fait à la partie conservée d’un corps a un effet sur la partie correspondante de l’esprit, et qu’on peut exercer une contrainte sur l’esprit d’un mort en maltraitant des reliques. De