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tirent leur valeur respective de leur force et de leur adresse à la chasse : chez eux, les trophées contribuent beaucoup à donner de l’honneur et de l’influence. De là vient que, dans l’île de Vate, le nombre des os de tous genres suspendus dans la maison d’un individu est le signe de son rang. On nous raconte que le guerrier chochone qui « tue un ours gris a, par ce fait, le droit d’en porter les dépouilles, car c’est un grand exploit que de mettre à mort un de ces terribles animaux, et celui-là seul qui l’a accompli a le droit de porter les suprêmes insignes de la gloire, la patte ou les griffes de la victime. » Chez les Santals « existe la coutume de se transmettre ces trophées (crânes de bêtes, etc.) de père en fils ». Armés du fil que ces faits nous livrent, nous comprenons pourquoi l’habitation du roi des Koussas « ne se distingue des autres que par une queue de lion ou de panthère qui pend du sommet du toit » ; il ne nous est guère possible de douter que ce symbole de royauté n’ait été dans le principe un trophée arboré par un chef qui devait le rang suprême à sa vaillance.

Mais comme, chez les hommes non civilisés et semi-civilisés, les ennemis humains sont bien plus à redouter que les ennemis animaux, et comme les victoires remportées sur les hommes sont par conséquent des occasions de plus grands triomphes que les conquêtes sur les animaux, il s’ensuit que les preuves de ces victoires sont ordinairement plus estimées. Un brave, revenant du combat, n’obtient pas grand honneur, si les exploits dont il se vante ne s’appuient pas sur des faits ; mais si, pour preuve qu’il a tué son homme, il en rapporte quelque partie, surtout une partie qui ne soit pas en double sur le corps, il voit son nom grandir dans la tribu et sa puissance s’accroître. En conséquence, la coutume s’établit de conserver des trophées pour les montrer et pour fortifier l’influence personnelle qu’on possède. Chez les Achantis, « les vainqueurs portent sur eux les plus petites articulations, les plus petits os et les dents des hommes qu’ils ont tués. » Chez les Ceris et les Opatas du nord du Mexique, « il en est beaucoup qui font cuire la chair de leurs prisonniers pour la manger et gardent leurs os pour en faire trophée. » Dans une autre race mexicaine, « les Chichimèques, les guerriers portent sur eux un os sur lequel ils font une entaille lorsqu’ils tuent un ennemi, pour conserver le souvenir du nombre de leurs victimes. »

Maintenant que nous avons reconnu le sens de l’acte de prendre des trophées, examinons les diverses formes de cet acte.

De toutes les parties coupées sur le corps des victimes du combat, celle qu’on prend le plus communément, c’est la tête, probablement