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tion de la rétine qui reçoit la lumière de cet endroit a ses fibres servant à la perception du rouge vivement excitées et, conséquemment, fatiguées. Si maintenant nous dirigeons cette même portion de la rétine sur une tache verte, les fibres qui perçoivent le rouge seront en repos et les organes destinés à la perception du vert, qui sont frais et vigoureux, recevront une stimulation normale. Il résulte de là que la succession ou le voisinage de ces couleurs sera agréable. Si au contraire la même portion de la rétine est dirigée immédiatement sur une tache pourpre ou orangée qui exigera de nouvelles dépenses des fibres servant à la perception du rouge déjà fatiguées, l’effet produit sera ce sentiment désagréable que nous appelons une dissonance. Ainsi toute harmonie de couleurs consiste en un arrangement de teintes tel que les diverses portions de la rétine en reçoivent une excitation dans l’ordre le moins fatigant ; et toute dissonance de couleurs consiste dans l’arrangement opposé » (p. 164).

C’est de la même manière que s’expliquent les plaisirs attachés à la perception des formes. Ici, comme la forme est inséparable de la distance, les mouvements que l’œil exécute pour parcourir les divers points de la figure deviennent un élément esthétique dominant. On comprend quel eût été l’avantage d’une étude préliminaire du rhythme et de la symétrie musculaires, dont la symétrie des formes ne serait plus qu’un cas particulier. À défaut de cette déduction M. Grant Allen nous montre bien que la perception des lignes brisées doit entraîner plus d’efforts que celle des lignes droites, mais que d’autre part la perception d’une figure uniforme fatigue également la rétine qu’elle excite toujours aux mêmes points. « Des figures variées déterminent des stimulations variées. » De là le plaisir que l’on reçoit de la vue de formes à la fois simples et variées comme celles des corps vivants. Tout corps vivant est déterminé par des lignes courbes et sinueuses. Le changement de foyer qui s’opère dans l’œil selon. la distance à laquelle il doit s’accommoder est aussi un élément de plaisir esthétique ; la vue continue d’un mur nu et plat est insupportable ; celle d’une façade mouvementée charme le regard, surtout quand des perspectives variées sont ménagées de chaque côté de l’édifice. La perspective offre encore une source nouvelle de variété par les différentes colorations et les différents degrés de lumière que l’enfoncement ou le relief déterminent dans les objets. Quant à la régularité des formes, « notre observation des corps organisés nous enseigne à l’attendre des objets qui s’offrent le plus souvent à notre regard, et nous l’imitons nous-mêmes dans nos créations artistiques. » Elle rend enfin les objets répandus dans le champ visuel plus aptes à être saisis par l’intelligence, et plaît par l’économie d’effort dont elle est la condition.

Les pages charmantes où M. Grant Allen énumère les objets agréables à voir qui se rencontrent dans la nature, échappent à l’analyse. Ils sont beaucoup plus nombreux, dit-il, que les sons musicaux et c’est un premier avantage que le sens de la vue a sur le sens de l’ouïe. En second lieu le sens de l’ouïe ne donne naissance qu’à un seul art,