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ANALYSESbrentano. — La Civilisation et ses lois.

l’état de paix et que, non moins naturellement, elle y conduit. « La paix prépare la guerre, la guerre fonde la paix. Ce ne sont pas deux puissances contraires en face desquelles nous nous trouvons ; c’est une seule et même puissance : la force vitale des nations. Elle se manifeste en temps de paix, et la lutte ouverte en dérive ; elle se manifeste en temps de guerre, et la paix en résulte. La gloire que de tous les temps les peuples ont accordée à la guerre et à ses héros n’est pas un souvenir de leurs époques barbares, ni l’effet de leurs mauvaises passions, c’est le produit de leur civilisation. »

L’auteur marque ensuite rapidement les phases diverses que traversent les institutions militaires des nations ; elles correspondent exactement aux transformations politiques et sociales, et le génie militaire lui-même suit le mouvement des grandes époques de création et de renaissance. Il émet quelques vues ingénieuses et fort plausibles sur les conditions futures de la guerre chez les peuples civilisés, et termine par des considérations pleines d’élévation et de gravité sur les causes, les lois et les conséquences des guerres nationales et politiques, des guerres civiles et religieuses.

Dans une brève conclusion, l’auteur présente un résumé des lois les plus générales qui régissent les grands phénomènes de la civilisation. Il cherche comment ces lois peuvent s’appliquer à notre temps et à notre pays ; il ne dissimule pas les inquiétudes que lui font concevoir les signes non équivoques d’une décadence de la France ; mais il croit encore à une régénération possible, et prévoit une dernière grande époque de la civilisation Européenne, avec les Slaves comme ouvriers et la France comme initiatrice. Ce qui se prépare aujourd’hui dans la presqu’île des Balkans donne à cette hypothèse un certain caractère de probabilité. Après tout, si la France ne doit pas rester toute seule la grande ouvrière du progrès, nous aimons encore mieux pour collaborateurs les Slaves que les Allemands.

Ces deux dernières parties sont, à notre avis, les plus remarquables de l’ouvrage. Une fécondité ingénieuse d’aperçus, une science solide qui ne se disperse pas dans les détails et se tient aux généralités sans devenir superficielle ; un style sobre, qu’anime par moments une sorte d’éloquence intérieure et discrète : toutes ces qualités dont l’auteur a fait preuve dans tout le cours de son livre, se manifestent peut-être d’une manière plus complète et plus soutenue dans la seconde moitié. En résumé, l’ouvrage de M. Funck Brentano contient d’importants enseignements et s’impose à l’attention du penseur qui poursuit la connaissance théorique des lois de l’évolution sociale, comme à celle du patriote anxieux des destinées de son pays.