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ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

qu’elle est, n’est pas d’ailleurs entièrement nouvelle : donnant pour point de départ à toute religion le culte des morts, c’est, comme il en fait lui-même la remarque, une sorte de retour à l’Evhémérisme.

Quelque jugement qu’on porte sur la valeur générale et absolue de cette théorie, nous devons reconnaître du moins qu’elle a permis à M. Spencer de grouper de la façon la plus saisissante un nombre immense de faits incontestables et d’un vif intérêt. Ces faits ne sont pas seulement empruntés aux récits des voyageurs contemporains, mais aussi à l’histoire, aux témoignages classiques, à tous les documents touchant la haute antiquité. Même si l’on conteste l’interprétation que l’auteur en donne, on ne songera guère à les nier, car ils concordent d’une façon remarquable avec ce que nous lisons dans des ouvrages qui chez nous font autorité, et qui ont été écrits à un autre point de vue, d’après d’autres documents, enfin dans un tout autre esprit. Par exemple, il est étonnant à quel point tout ce que dit M. Spencer sur le culte des morts, rappelle les premiers chapitres de La cité antique de M. Fustel de Coulanges. Et nous trouvons encore une peinture identique de la religion des ancêtres aux premiers âges de la civilisation hellénique, dans l’étude toute nouvelle et si curieuse de M. Ravaisson sur les Bas-reliefs funéraires des Grecs[1]. M. Ravaisson, regardant comme un trait originel de la nature humaine l’instinct de l’immortalité, s’applique à montrer qu’en Grèce comme ailleurs, quoi qu’on en ait dit, « ce fut de tout temps la doctrine universelle que la vie ne pouvait prendre fin. » Comme M. Spencer voit, tout au contraire, dans cette croyance à l’immortalité, un signe de l’ignorance primitive, une conclusion tirée de prémisses fausses, on peut dire que les deux écrivains sont placés à des points de vue entièrement opposés. Leurs sources sont aussi fort différentes, puisque M. Ravaisson, quoiqu’il n’ignore pas la coïncidence de ses vues avec les récits des voyageurs, et qu’il renvoie lui-même ses lecteurs au livre de sir J.-Lubbock sur Les Origines de la Civilisation, est conduit cependant à ses conclusions par la seule étude de la littérature antique, des monuments de l’art et des inscriptions. Eh bien, tel est pourtant, quant aux faits, l’accord de ces deux philosophes, que plusieurs passages de M. Spencer pourraient paraître avoir été écrits précisément à l’appui de la thèse de M. Ravaisson. Cette thèse, en effet, repose principalement sur ce fait, que certains bas-reliefs funéraires des Grecs représentent le mort tendrement accueilli dans l’autre vie par les parents et amis qui l’y ont précédé. Or, que nous rapporte M. Spencer des Malagazy, par exemple ? « Entrant, dit-il, dans le lieu des funérailles, ils annoncent aux morts qui reposent là qu’un parent vient les rejoindre, et ils les prient de lui faire un bon accueil[2]. »

On pourrait multiplier ces rapprochements, et en faire bien d’autres

  1. Le monument de Myrrhine et les bas-reliefs funéraires des Grecs en général, Paris, 1876, brochure grand in-4º, avec 3 belles planches. — Chez Leroux, 28, rue Bonaparte.
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