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ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

deux premières seules ont paru[1]. L’ouvrage n’est donc pas encore, même en Angleterre, dans le domaine public ; à plus forte raison ne sommes-nous pas près d’en avoir la traduction. Il sera d’autant plus intéressant d’en donner un avant-goût.

La première partie a pour titre : Les données de la sociologie (The data, of sociology) ; c’est d’elle seule que nous allons nous occuper[2]. Elle suffira à nous faire connaître de quelle manière l’auteur entend la « sociologie, » comment il rattache cette nouvelle étude à sa doctrine de l’évolution, et quelle méthode il y apporte. Il y a là déjà, on va le voir, matière à bien des réflexions.

Le mot Sociologie, créé (d’une manière assez malheureuse) par A. Comte, désigne dans le langage des positivistes français la dernière et la plus élevée des sciences, celle qui fait suite à la Biologie, et a pour objet l’étude de l’homme en société. L’homme individuel, on le sait, n’est point dans le système positiviste l’objet d’une science à part. Comme tous les autres vivants il relève de la Biologie ; et ses facultés même les plus hautes ne peuvent être étudiées que comme manifestations de la vie cérébrale par la méthode physiologique. Mais, quand on connaît les fonctions, inférieures et supérieures, dont l’ensemble constitue la vie individuelle de l’homme, il reste à chercher les lois qui président à la vie collective, c’est-à-dire à la constitution et au développement des sociétés humaines. Tel est l’objet de la « sociologie. » Du reste le positivisme français, s’il a rendu à cette science le grand service de lui donner un nom et de lui assigner une place d’honneur, n’a produit encore, en sociologie, aucune œuvre capitale[3]. Il s’est borné, ou peu s’en faut, à commenter (non sans en exagérer l’originalité et la portée) la fameuse loi des trois états d’Aug. Comte, légèrement modifiée par M. Littré.

C’est, au contraire, une œuvre de très-longue haleine, que M. Spencer a entreprise. Il est difficile encore de se la représenter dans son ensemble, puisque, des onze parties qui doivent la composer, nous n’en avons que deux jusqu’à présent ; mais il est certain dès maintenant que, depuis la Politique d’Aristote, pareil effort n’avait jamais été fait

  1. Le dernier fascicule du premier volume de la Sociology vient de paraître, pendant que cet article était sous presse. Nous n’avons d’ailleurs étudié que la première partie de ce volume intitulé : Les Données de la Sociologie.
  2. Cette 1re partie occupe six livraisons à elle seule. — La 2e intitulée : Les Inductions de la Sociologie, occupe deux fascicules seulement et vient d’être achevée ; mais nous l’avons eu trop tard sous les yeux pour en rendre compte dans cet article, qui, d’ailleurs, ne saurait être le seul consacré par la Revue aux Principes de Sociologie. — La 3e est intitulée Les Relations domestiques.
  3. Le grand ouvrage de Comte, Système de Politique positive, ou traité de Sociologie instituant la religion de l’humanité, 4 vol. in 8e, 1851-1854, est contesté, pour ne pas dire désavoué par la grande majorité de ses disciples. M. Littré en critique sévèrement la « méthode subjective » et, tout en déclarant que « l’ongle du lion y apparaît en divers morceaux, » n’en accepte ni la, tendance, ni les conclusions.