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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

questions d’art. C’est une belle page que sa conférence sur Watteau[1], et dans son admiration, il est bien près d’accorder au beau le caractère absolu qu’il refuse à la vérité. Il avait sur le langage propre à la science des idées d’une justesse incontestable[2] : ici, quel que soit l’objet, tout est sévère, rigoureux, exact ; M. Vapereau ne comprend pas la question, quand il reproche à l’auteur du livre sur le Gracieux de déployer dans un sujet si léger un si grand luxe de méthode et de dissertations philosophiques ; en cela il cède à un travers, malheureusement trop répandu en France, et qui est la conséquence des associations d’idées les plus superficielles. À cet égard, la pensée de Dumont se portait vers l’avenir, et il reprochait à ses compatriotes le culte exagéré de la forme : « Quand renoncerons-nous, s’écrie-t-il, à cette éducation de style qui nous habitue à prendre des phrases pour des pensées, à confondre l’éloquence avec la vérité ? Quand cesserons-nous de croire que les qualités vives et brillantes de l’esprit peuvent dispenser d’étude et d’instruction ? Jusqu’à quand enfin nos masses populaires, dépourvues de toutes notions positives, resteront-elles incapables de se tenir en garde contre les intrigants et les faiseurs, et se laisseront-elles prendre sans défense aux déclamations des rhéteurs démagogiques ou aux promesses effrontées des prétendus sauveurs qui exploitent leur ignorance[3] ? » C’est pour cela sans doute que dans une lettre en réponse au docteur Hecker il laisse passer sans protestation cette déclaration dédaigneuse : que les Allemands ne lisent plus les auteurs français « depuis que la phrase a commencé à régner aussi sur la science française[4]. »

Dumont, hélas, est mort trop tôt. Il n’a pas eu le temps de conquérir sur ses concitoyens l’autorité à laquelle son savoir lui eût donné des droits. Que de pensées originales ; que de vues profondes, que d’aperçus lucides il a emportés avec lui dans l’ombre du tombeau ! Par ce qui nous reste de lui, nous pouvons juger de ce qu’il nous réservait, et c’était, sans doute, le meilleur de son esprit. Quelle influence il eût pu exercer un jour sur sa patrie, en mettant à la portée de tous les sources de la science !

Il a laissé dans cet ordre d’idées un monument qui prouve ses aptitudes exceptionnelles à cet égard. C’est son exposé de la théorie de l’évolution en Allemagne, œuvre accomplie sous le rapport de la méthode, de la concision et de la clarté. Ce n’était pas chose

  1. Revue scientifique, 14 juillet 1866.
  2. Théorie de la sensib., p, 15 et suiv.
  3. Revue scientifique, 22 juin 1872, La civilisation 1229.
  4. Ibid., 19 septembre 1874. p. 287.