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beurier. — philosophie de m. renouvier.

mation spécieuse dans la divergence des actes humains, dans leur opposition et dans l’imprévu de leurs conséquences ; quand une passion est retenue et neutralisée, puis vaincue, puis extirpée jusqu’à sa racine par l’appel et le maintien constant de quelques motifs pris de plus haut ou de plus loin, d’ordre différent : alors il faut dire qu’il y a volonté. Un grand fait est donc celui-ci : que la représentation se pose, en puissance, comme suspensive d’elle-même et comme suscitative de telles autres qu’elle envisage dans l’avenir… Ceci admis, j’entends par volition le caractère d’un acte de conscience qui ne se représente pas simplement donné, mais qui se représente pouvant ou ayant pu être ou n’être pas suscité ou continué, sans autre changement apparent que celui qui se lie à la représentation même, tant qu’elle appelle ou éloigne la représentation[1]. »

Cette formule n’est, après tout, que le développement de la définition que Kant donnait du désir, identifié par lui avec la volonté. Le désir, dans la philosophie kantienne, est un pouvoir de déterminer soi-même son activité par la représentation d’une chose à venir ; une faculté d’être, par ses représentations, cause de la réalité des objets de ces représentations. On peut même remonter plus loin, beaucoup plus loin, jusqu’à la plus haute antiquité. Les philosophes grecs n’entendaient-ils point par âme « une chose soimouvante ? » Seulement les anciens ne pouvaient se défaire de l’idée de substance, et Kant a cru devoir admettre la causalité déterminante, enveloppante, dans l’ordre des phénomènes. M. Renouvier repousse la nécessité aussi bien que la substance, deux notions identiques à ses yeux. Il ne veut voir dans la volonté qu’une fonction, mais une fonction qui ne doit plus être comprise dans le sens mathématique du mot, qui implique une dépendance réciproque de toutes les variables dont la fonction est le lien. « Ici, en supposant la réalité conforme aux apparences, il faut admettre des variables indépendantes qui ne soient pas seulement fictives. Les fonctions mêmes varient entre certaines limites, et le jeu des phénomènes cesse de pouvoir être constamment prévu par quelque intelligence que l’on veuille poser. En d’autres termes, les fonctions peuvent n’être pas données, mais devenir et se faire[2]. »

Est-ce à dire que la volonté soit sans aucune attache avec les autres faits ou fonctions de conscience ? Nullement. L’auteur des Essais ne comprend pas un pouvoir actif et libre qui serait conçu comme une « faculté pure, » à part de l’intelligence et des affections : ce se-

  1. Psychologie, I, 299, 301.
  2. Psychologie, I, 309.