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est pour la négative ; Livingstone et Jellingshaus, pour l’affirmative.

Nous craignons que notre auteur ne distingue pas suffisamment ici entre le poids et l’autorité de ces affirmations contraires.

La philologie comparée a conduit les savants à la découverte de racines phonétiques partout identiques. Mais il y a désaccord entre eux sur l’origine de ces racines. Les uns, comme G. Curtius et Schleicher, les expliquent par l’onomatopée, tandis que Max Müller, Lazarus, Geiger, Heyse et Steinthal se rallient à l’hypothèse de types phonétiques irréductibles, innés, et par là s’écartent des principes de la doctrine évolutionniste.

En résumé, il règne encore trop d’incertitudes et de contradictions entre les représentants des sciences spéciales pour que la théorie de la descendance puisse s’autoriser rigoureusement des adhésions plus ou moins complètes, plus ou moins nombreuses, qu’elle rencontre parmi eux. Et notre auteur résume en ces termes son jugement sur la valeur scientifique de la doctrine darwinienne : « La théorie de la descendance a explique très-vraisemblablement l’origine des espèces, du moins des espèces supérieures dans le monde des organismes. Mais la descendance doit-elle admettre une évolution graduelle ou une métamorphose au sein du germe ? Ou bien, parmi les organismes, les uns suivent-ils pour se transformer la première voie, les autres la seconde ? C’est une question qui n’est pas encore résolue. En tout cas, la tentative d’expliquer l’origine du monde organique tout entier par la théorie exclusive de la sélection peut être considérée comme condamnée. »

II. — Les développements et les conséquences philosophiques des théories darwiniennes. Si le Darwinisme n’aboutit pas à des conclusions définitives, incontestées sur les problèmes scientifiques qu’il agite, il est encore bien moins capable de répondre aux questions du philosophe. Strauss, dans son « Épilogue comme prologue » (Nachwort als Vorwort, Bonn, 1873), résume avec sa clarté habituelle ces vices irrémédiables de la théorie de l’évolution : « Comment la vie sort-elle de ce qui est étranger à la vie ; la sensation (et la conscience) de ce qui n’a part ni à l’une ni à l’autre ; la raison (la conscience de la personnalité et la volonté libre) de ce qui est sans raison ? » L’origine de la conscience morale, de la sensation, de la vie, échappe au Darwinisme. Les éléments matériels du monde, qui obéit aux lois du développement darwinien, ne se prêtent pas davantage aux explications de la théorie.

Darwin, qui insiste longuement sur la comparaison des facultés intellectuelles de l’homme et de l’animal dans son livre de La descendance de l’homme, a une page à peine sur la personnalité, l’individualité, la faculté d’abstraire. On ne trouve presque rien non plus dans Hæckel sur l’origine du Moi. Qu’on médite enfin le passage caractéristique de Strauss sur cette grave question. Nous lisons dans l’Ancienne et la nouvelle foi : « L’homme est compris dans ce mouvement ascensionnel de la vie, et de telle sorte qu’en lui la puissance formatrice des orga-